Avec “Bientôt dans vos assiettes (de gré ou de force)” Paul Moreira signe une remarquable enquête sur les effets dévastateurs du combo “OGM-herbicides”, diffusée le lundi 1er septembre sur Canal+.
Télérama : D’où vous est venue cette envie d’enquêter à nouveau sur les OGM ?
Les questions clés de l’agriculture et de la nourriture m’intéressent et j’avais déjà fait un film sur le sujet en 1999. Je trouvais fascinant que Monsanto brevète des plantes au même titre que Microsoft brevète des logiciels. Pour autant, tout en me disant que le futur nous réservait des choses effrayantes, j’étais sans doute passé à côté du sujet à l’époque. Depuis ce film, j’étais cependant resté en éveil. C’est une dépêche d’Associated Press signalant un nombre croissant d’enfants vivant dans les zones agricoles en Argentine et victimes de déformations, qui m’a alerté.
Votre enquête prend ancrage en Argentine où vous découvrez, caméra à la main, des enfants lourdement handicapés et des familles anéanties.
Alors que le discours officiel consiste à dire que la culture extensive des OGM ne présente aucun risque sur les humains, ce qu’on voit sur le terrain est assez choquant. On y découvre par exemple des camions d’épandage qui pulvérisent des produits interdits comme l’atravine. Plus généralement, on constate que les herbicides du type Round up ne fonctionnent plus et que les agriculteurs doublent, voire triplent, les produits désherbants pour continuer à produire du maïs ou du soja. C’est un fait largement dissimulé or, il faut savoir que certains de ces produits ont un impact et une rémanence durable sur les nappes phréatiques.
Sur place, mon premier choc a été de découvrir un village de vingt-cinq maisons avec cinq cas d’enfants déformés et malades. Cela m’a heurté en tant qu’homme et que parent… Et encore dans le film, nous n’avons montré que les images “les plus belles” d’une petite fille, qui essayait d’embrasser sa maman. Dans certaines familles, les parents cachent leurs enfants handicapés comme s’ils en avaient honte. Les autorités ont essayé de nier cette réalité dans un premier temps, en évoquant des cas de mariages consanguins, elles ont ensuite fini par la reconnaître devant notre caméra.
On comprend aussi à quel point les lobbys pro OGM américains et le Département d’Etat travaillent main dans la main, depuis l’ère Bush, pour imposer leurs semences en Europe notamment.
C’est l’un des découvertes de cette enquête : la puissance des lobbys OGM et les gouvernements américains successifs qui mobilisent tout l’appareil d’Etat en faveur des industries transgéniques. Ils se sont mis au service de Monsanto et des autres. C’est devenu un enjeu économique stratégique, au même titre que le pétrole ou les armes. On en a eu la preuve avec la révélation par Wikileaks de câbles de la diplomatie américaine. Depuis, Obama s’est engagé à mieux étiqueter les produits alimentaires et indiquer la part d’OGM. C’est une mesure normale qui ne devrait pas poser problème. Pourtant, il a en partie échoué. Seul l’Etat du Vermont a réussi à l’imposer, mais il est en but à un méga-procès des industriels qui invoquent le droit au silence et se positionnent sur le terrain des libertés publiques ! C’est du Kafka, ou de la poésie !