Castel Viandes: un scandale plus grave que l’affaire Spanghero?

C’est un scandale qu’il juge plus grave que celui des lasagnes de cheval. Près de deux ans après l’« affaire Spanghero », qui a secoué la France et l’Europe début 2013, Pierre Hinard raconte, dans Omerta sur la viande.

Un témoin parle, les coulisses peu ragoûtantes de Castel Viandes, une entreprise d’abattage et de découpe de Loire-Atlantique. Un récit qui illustre une nouvelle fois les dérives d’une industrie agroalimentaire seulement motivée par l’appât du gain, au détriment de la santé des consommateurs.

L’auteur, ingénieur agronome, fut directeur de la qualité de l’abattoir entre mai 2006 et décembre 2008. Il égrène jusqu’à la nausée les malversations de Jeff et Véronique Viol, entrepreneurs sans scrupule à la tête de cette entreprise de 330 salariés. Parmi les clients du principal employeur de Châteaubriand : la grande distribution (Auchan, Système U), des traiteurs industriels (Lustucru, William Saurin) et des chaînes de restauration rapide (Flunch, McDonald’s).

Au titre des petits et grands « arrangements avec l’hygiène et les règlements sanitaires », il y a tout d’abord la vente du fameux « minerai de viande » que le grand public a découvert avec l’affaire Spanghero. Des morceaux souillés, du gras, du collagène et des déchets broyés, qui se retrouvent dans des raviolis, du hachis Parmentier ou des lasagnes au « bœuf » industriels.

Dans cette entreprise au sein de laquelle le directeur commercial affirme « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », reprenant à son compte la célèbre formule de Lavoisier, une pratique courante est celle de la « remballe », c’est-à-dire le recyclage de viandes invendues, impropres à la consommation, qui sont remises sur le marché avec de fausses étiquettes.

Ou encore les asticots – 250 kg sur le toit – qui tombent dans les steaks hachés, les fausses valeurs de matière grasse, les morceaux « verdâtres » et « à l’odeur écœurante », les feuilles de traçabilité maquillées, les résultats bactériologiques dissimulés et le sang épandu dans des champs pour éviter le payer l’enlèvement des déchets.

Un « lanceur d’alerte »

Omerta sur la viande, un témoin parle, de Pierre Hinard, Grasset, 234 pages, 17 euros. | Couverture livre

Pierre Hinard dénonce, derrière le cas de Castel Viandes, les défaillances de l’ensemble d’un système. Une « chaîne de la fraude » qui relie les inspecteurs vétérinaires – qui contrôlent et sanctionnent peu, seulement présents avant et après l’abattage des vaches mais pas dans les ateliers de découpe ou du haché –, aux pouvoirs publics locaux, conciliants pour épargner l’emploi, en passant par les grandes enseignes qui préfèrent fermer les yeux afin de baisser les prix. Le tout, au détriment de consommateurs intoxiqués à de nombreuses reprises. L’auteur met également en cause l’intensification de la production de viande : des bêtes engraissées toujours plus vite, hors-sol, avec du soja génétiquement modifié et plein d’antibiotiques.

Si l’on dévore d’une traite ce témoignage terrifiant et passionnant, on en sort le ventre noué. Une question se pose toutefois : pourquoi cet homme, qui se présente comme un « lanceur d’alerte » et qui élève des vaches Salers nourries à l’herbe et soignées aux huiles essentielles, n’a-t-il pas changé les pratiques de l’entreprise ou démissionné ? « La direction repassait derrière moi à chaque fois que j’ordonnais la destruction d’un lot », justifie-t-il.

Lorsque, à bout, il décide de prévenir le vétérinaire en chef de l’ampleur des fraudes, Pierre Hinard est licencié pour faute. Il finira par faire entendre sa voix au moment du scandale de la viande de cheval, conduisant à l’ouverture d’une information judiciaire et à la mise en examen du chef d’entreprise et de deux cadres en juin et juillet pour « tromperies » sur la marchandise et pour « mise sur le marché de produits d’origine animale préjudiciables à la santé ». L’enquête est toujours en cours et Flunch, Auchan et Système U ont repris leurs approvisionnements chez Castel Viandes.

Le mot de la fin pourrait être celui de l’agriculteur et philosophe Pierre Rabhi, cité dans la préface de l’ouvrage : « Avant, quand nous nous mettions à table, nous nous souhaitions bon appétit. Aujourd’hui, il faudrait plutôt se souhaiter bonne chance. »

Omerta sur la viande, un témoin parle, de Pierre Hinard, Grasset, 234 pages, 17 euros.

Audrey Garric
Chef adjointe du service Planète/Sciences du Monde

via Le nouveau paradigme

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