Docteur Nicole Delépine, votre service d’oncologie pédiatrique à Garches (Hauts –de-Seine) fait actuellement la une des journaux. Menacé de fermeture, parce que vos méthodes sont jugées « controversées », des parents d’enfants cancéreux ont fait une grève de la faim pour réclamer son maintien et celui des méthodes que vous préconisez. Ils ont été délogés dimanche par la force alors qu’ils s’étaient réfugiés dans la chapelle.
Pouvez-vous expliquer brièvement ce qu’il en est ?
Ces méthodes dont vous parlez ne sont pas « mes » méthodes. Ce sont des méthodes prouvées, éprouvées par le passé, dans le cadre d’une médecine classique répondant au serment d’Hippocrate et visant à soigner les patients et non en premier objectif à faire avancer la recherche. Je n’ai pas de méthodes « personnelles ».
Dans la plupart des autres services (d’autres services font l’objet des mêmes mesures que le nôtre, mais on n’en entend pas parler, nous sommes les seuls à nous défendre, en tout cas de façon un peu audible !), le « Plan cancer » exige que les patients soient intégrés dans des essais thérapeutiques, que l’on appelle pudiquement « protocoles », ou « tests », standardisés.
L’absence de possibilité de choisir le traitement le mieux adapté viole le serment Hippocrate, viole le code de déontologie qui doit garantir l’indépendance professionnelle, viole le code de santé publique – selon lequel un malade peut opter pour le médecin de son choix (mais si les patients ne sont pas informés qu’il existe d’autres traitements ailleurs, et si tous les médecins leur proposent les mêmes protocoles, où est le choix ?), viole enfin le code de Nüremberg qui établit que tout médecin doit privilégier le soin du malade et non la recherche clinique. Nous ne sommes pas, bien sûr, contre les essais thérapeutiques mais contre les essais thérapeutiques « d’emblée »… que l’on « vend » au malade en lui laissant imaginer qu’il aura ainsi LE traitement en pointe.
Quelle est votre analyse ?
Le « Plan cancer » stipule qu’il faut une acculturation, un changement de paradigme, une rupture avec des traitements classiques empiriques personnalisés qui ont fait leurs preuves à travers le monde. En 1985 avant l’ère des grands essais systématiques on guérissait 3/4 des patients en cancérologie pédiatrique et 50 % chez les adultes. Actuellement les résultats des essais cliniques récents ne sont pas publiés… Et pourquoi changer ce qui fonctionnait sinon pour faire marcher à plein l’industrie pharmaceutique ?
Vous considérez donc que vous devez faire face à un diktat commercial des laboratoires ?
Complètement. Car le véritable problème de fond est là : Toutes les molécules innovantes, (fondées essentiellement sur la génétique) coûtent 2 milliards d’euros par an pour l’oncologie, remboursées par la Sécurité sociale AVANT leur mise sur le marché (« liste en sus » payée directement par la Sécurité sociale aux labos alors qu’il s’agit de recherche). Là où un traitement coûtait 500€, il faut à présent 10000€… Prenez l’exemple du vaccin Gardasil (censé lutter contre le cancer du col de l’utérus dans trente ans ), c’est une catastrophe et pourtant on continue de le recommander… et le Plan cancer 2014 tente de le généraliser. C’est l’industrie pharmaceutique qui décide de ce que doivent faire les médecins, et la Sécurité sociale est au service des labos.
Les parents en grève de la faim ont dû trouver refuge ailleurs. Comment envisagez-vous aujourd’hui la suite ?
J’espère que les nombreuses mises au point sur les médias, y compris maintenant les chaînes de télévision, associées aux multiples actions juridiques en cours vont amener le pouvoir politique à réfléchir aux conséquences d’une fermeture à la hussarde d’un service inauguré en grande pompe par le ministère de la Santé lui-même en 2006.
Ne pas respecter l’ensemble des procédures institutionnelles de l’AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris), ni celles imposées par les ARS (Agences régionales de santé), par de nombreux textes, déstabiliserait ces institutions en même temps qu’elle priverait les parents de liberté de choix thérapeutique de fait en cancérologie pédiatrique, toutes conséquences susceptibles de recours juridique devant l’Europe.
Je suis résolument optimiste. Le bon sens devrait l’emporter et l’excitation de ces jours-ci, pour désespérer personnels et patients par des mesures coercitives injustes, illégales et d’allure carcérale (vigiles à toutes les entrées , interdiction de visites aux familles etc.), prouve bien que l’institution joue la montre pour démoraliser l’ensemble des acteurs , oubliant que l’interêt des patients prime et que la guerre des nerfs inique (dont aucun n’assume la décision de surcroit) ne saurait entamer notre détermination à sauver la liberté de soigner et la démocratie.