Le renouveau agricole de Félix Noblia
Félix Noblia, originaire de la côte basque, a repris la ferme de son oncle à Bergouey-Viellenave, dans les Pyrénées-Atlantiques, sans expérience préalable en agriculture. Passionné par l’idée d’innover, il a transformé cette exploitation en laboratoire d’expérimentations agroécologiques. En pratiquant une agriculture sans labour et sans pesticides, il cherche à concilier productivité et respect de la nature.
Son approche repose sur le semis direct sous couvert végétal, une technique importée des États-Unis, qu’il a adaptée à l’agriculture biologique. Contrairement à l’agriculture conventionnelle, où les pesticides comme le glyphosate sont utilisés pour éliminer les mauvaises herbes, Félix Noblia mise sur des paillages naturels pour étouffer ces dernières, tout en enrichissant le sol.
Les bienfaits du semis direct sous couvert végétal
Le principe du semis direct sous couvert végétal consiste à semer une première culture, qui sera ensuite aplatie à l’aide d’un rouleau cranté, fabriqué sur mesure. Cette culture écrasée forme un paillage naturel, qui se décompose pour nourrir le sol. Par la suite, les cultures principales sont plantées directement dans ce sol ainsi enrichi. Noblia a testé de nombreuses combinaisons d’espèces sur ses 150 hectares de terres, constatant par exemple que le pois fourrager est particulièrement efficace comme couvert végétal pour la culture du maïs.
Ce système lui permet de se passer de produits phytosanitaires, en jouant sur les cycles de croissance : le paillage empêche la prolifération des mauvaises herbes jusqu’à ce que ses cultures prennent suffisamment d’ampleur pour les concurrencer. Félix Noblia résume le dilemme auquel les agriculteurs font face : « En utilisant des pesticides, on tue des humains ; en travaillant le sol, on tue l’humanité. » Son modèle lui permet d’éviter ces deux écueils.
Lutte contre le réchauffement climatique et protection des sols
Pour Félix Noblia, cette technique est également une solution face au changement climatique. Il explique que les plantes en décomposition permettent de stocker le carbone dans le sol, contribuant ainsi à atténuer les effets du réchauffement. « Si tous les agriculteurs se mettaient à cette technique, nous pourrions stocker tout le carbone émis par les énergies fossiles et stopper le réchauffement », déclare-t-il. Des études scientifiques confirment cette capacité de stockage : il suffirait que le sol absorbe 0,4 % de carbone supplémentaire chaque année pour compenser l’ensemble des émissions humaines. Or, les utilisateurs de cette méthode depuis deux décennies ont observé une augmentation de 2,5 % du stock de carbone.
De plus, des sols en bonne santé sont capables de mieux retenir l’eau, réduisant ainsi les risques d’inondations et participant à la dépollution naturelle de l’eau. Lors d’un épisode de crue sur l’une de ses parcelles, Noblia a constaté que son sol n’avait perdu aucune terre, preuve de la résilience de son système. Il plaide ainsi pour que les agriculteurs soient rémunérés pour les services environnementaux qu’ils rendent à la société, citant en exemple le coût de la dépollution de l’eau, qui représente cinq fois le budget de la politique agricole commune (PAC).
Une approche holistique de l’élevage et de l’agriculture
Outre les cultures, Félix Noblia applique des principes d’agroécologie à son troupeau de 60 vaches, races angus et blonde d’Aquitaine. Ces animaux sont élevés en pâturage tournant dynamique, une méthode qui consiste à déplacer fréquemment les vaches entre les parcelles pour que l’herbe ait le temps de se régénérer. Cette technique, qui imite les comportements naturels des animaux sauvages en savane, permet de fertiliser les pâturages et d’augmenter leur qualité nutritionnelle.
Félix Noblia relie également la santé des sols et des animaux à celle des humains. Fort d’une année d’études en médecine, il s’inquiète de l’impact de l’agriculture moderne sur la qualité nutritionnelle des aliments : « Le nombre de cancers explose et l’âge auquel ils apparaissent a été avancé de vingt ans ! » Il souligne que les sols appauvris par l’agriculture intensive sont moins riches en oligo-éléments, ce qui affecte la qualité de notre alimentation. En misant sur une agriculture respectueuse des sols, il espère améliorer la santé publique.
Un agriculteur innovant et visionnaire
Toujours en quête d’innovation, Félix Noblia ne cesse de développer de nouveaux projets. Récemment, il a installé des panneaux solaires sur son étable, ce qui lui permet d’être autonome en énergie tout en revendant l’excédent. Il projette également de se lancer dans le maraîchage en créant des terrasses sur les pentes de sa propriété, ainsi que dans l’agroforesterie avec la plantation de mûriers blancs, qui serviraient de pâturage pour ses vaches. Environ 8 % de ses terres sont actuellement dédiées à ces expérimentations, bien que cela affecte ses finances. « Cela fait un trou dans ma trésorerie, mais on n’a plus le temps d’attendre », affirme-t-il.
Son travail acharné, bien que chronophage, commence à porter ses fruits. Des voisins se tournent déjà vers le couvert végétal, et Félix Noblia partage ses connaissances lors de conférences et avec des agriculteurs d’autres pays. Malgré la fatigue, il reste déterminé à poursuivre son engagement pour une agriculture durable. Convaincu que l’avenir de la planète en dépend, il se bat non seulement pour sa propre famille, mais aussi pour les générations futures.
Source: reporterre.net