Les bactéries de nos intestins jouent un rôle crucial dans notre santé et peu à peu, les scientifiques établissent la liste des bonnes et des mauvaises. Mais celle-ci doit être remise à plat, puisque le peuple Hadza, des chasseurs-cueilleurs africains, ne porte pas certains des probiotiques jugés importants, mais ne déclare pourtant pas les nombreuses maladies métaboliques ou intestinales rencontrées dans le monde occidental…
Le peuple hadza est l’un des derniers peuples africains à vivre encore de la chasse et de la cueillette. Un mode de vie qui change leur flore intestinale et qui nous poussent à revoir quelles sont les bonnes et les mauvaises bactéries commensales. © Woodlouse, Flickr, cc by sa 2.0
Nos entrailles constituent un terrain de jeu privilégié pour de nombreux micro-organismes. Il faut dire que nos intestins sont une aubaine pour de nombreuses espèces bactériennes, qui profitent de la nourriture qui passe dans ce long tuyau pour trouver de l’énergie. En retour, elles nous aident à la digestion, et interviennent en réalité à de nombreux niveaux, facilitant certaines fonctions et nous protégeant de maladies.
Elles sont si importantes qu’il est souvent préconisé de reconstituer les populations disparues après une prise d’antibiotiques ou des diarrhées, à l’aide d’une alimentation saine et équilibrée, ou avec des probiotiques, des compléments alimentaires contenant des bactéries. Les spécialistes savent quelles espèces nous sont les plus utiles, tandis que d’autres sont associées à des maladies.
Le profil microbiotique idéal pourrait-il être universel ? La dernière étude publiée dans Nature Communications semble répondre par la négative, parce que l’humanité est variée et que des modes de vie très différents génèrent d’autant plus de diversité. La preuve avec les Hadzas.
Des chasseurs-cueilleurs à la flore intestinale inédite
Ce peuple tanzanien se compose encore de tribus de chasseurs-cueilleurs, vivant probablement comme le faisaient nos ancêtres avant qu’ils ne maîtrisent l’agriculture. Leur régime alimentaire est évidemment très différent de celui du monde occidental. Pourtant, aucune étude sur le microbiote intestinal n’avait été menée chez des groupes humains avec un tel mode de vie.
Les Hadzas n’ont pas de bactéries du genre Bifidobacterium dans leurs intestins, alors qu’on en retrouve chez des peuples d’agriculteurs à travers le monde. © Julie3601, Wikipédia, cc by sa 3.0
La tâche (peu enviable) de récupérer les fèces de ces hommes et ces femmes incombait à Stephanie Schnorr, doctorante à l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste, basé à Leipzig (Allemagne). Lorsqu’il a fallu leur demander l’autorisation, celle-ci a été agréablement surprise par la réponse de l’un d’eux, nommé Panda, qui lui dit qu’ils en faisaient normalement cadeau à la terre, mais qu’ils feraient une exception pour elle et lui donneraient volontiers.
En tout, la jeune femme a collecté des échantillons auprès de 27 individus, âgés de 8 à 70 ans. Ceux-ci ont rejoint l’Italie, et plus précisément l’université de Bologne, pour une extraction en règle de l’ADN bactérien présent dans les déjections. Les analyses révèlent une plus grande diversité du microbiote des Hadzas par rapport à celui des Italiens. La comparaison avec deux tribus agricultrices africaines révèle également que les chasseurs-cueilleurs sont les seuls à ne pas présenter l’un des probiotiques les plus communs : Bifidobacterium. Surprenant ? Pas forcément, puisque ce genre bactérien est associé aux produits laitiers, qui n’entrent pas dans l’alimentation du peuple hadza.
Une coévolution entre l’Homme et ses bactéries
Autre différence remarquable : les hauts niveaux de bactéries du genre Treponema chez les nomades tanzaniens. Ces micro-organismes sont plutôt associés à des maladies : l’un d’eux est à l’origine de la syphilis par exemple. Pourtant, les Hadzas se portent bien, très bien même. Chez eux, pas de diabète, pas d’obésité ni de troubles auto-immuns. Le cancer du côlon ? Ils ne le connaissent pas, ou peu. Les inflammations intestinales comme la maladie de Crohn ? Ils ne se sentent pas concernés. Malgré ces profils microbiotiques qui surprendraient plus d’un spécialiste, les chasseurs-cueilleurs sont en bonne santé. De quoi battre en brèche certaines idées reçues sur la composition idéale des populations bactériennes des intestins !
Une dernière surprise attendait les auteurs de ce travail, dirigé par Alyssa Crittenden, de l’université du Nevada, à Las Vegas. Ils ont noté une nette différence dans les microbiotes des hommes et des femmes hadzas. Une divergence issue de la division des tâches au sein de ce peuple nomade : les hommes sont chasseurs et se nourrissent principalement de viande et de miel. Les femmes, quant à elles, collectent les fruits ou les tubercules, qu’elles mangent en plus grande quantité. Chaque sexe doit avoir l’équipement bactérien adapté à ses besoins.
De telles informations sont importantes à plusieurs titres. D’une part, elles confirment l’importance de l’alimentation sur les populations composant le microbiote intestinal, tout en démontrant l’intérêt de la diversité pour assurer une bonne santé. Or, la nourriture riche en graisses ou en produits transformés, fréquente en Occident, génère des troubles métaboliques devenus source d’inquiétude dans nos sociétés modernes, comme l’obésité ou le diabète. Enfin, ce travail permet aussi de retracer la coévolution qui s’est produite entre nos ancêtres, chasseurs-cueilleurs, et leurs bactéries intestinales, jusqu’au moment où ils ont commencé à se sédentariser.