Chère lectrice, cher lecteur,
Deux mois se sont écoulés depuis que les Professeurs Bernard Debré et Philippe Even ont été condamnés par la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins d’Ile-de-France. L’émotion passée, revenons sur cette affaire qui nous concerne tous.
1159 morts ??
Je rappelle que, le 18 mars 2014, ces deux médecins réputés ont été interdits d’exercice de la médecine pendant un an, notamment pour avoir critiqué les médicaments qui font baisser le cholestérol (statines, fibrates) dans leur Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux, sorti en 2012.
Ce livre a déclenché une telle polémique sur les statines (médicaments contre le cholestérol) que des médecins français ont publié un article d’apparence scientifique dans la revue Archives of Cardiovascular Diseases, le 10 octobre 2013, expliquant que cela se traduirait en un an par 4 992 « événements cardiovasculaires majeurs » dont 1 159 décès, à cause des personnes qui allaient interrompre leur traitement [1].
Sans prendre la peine de vérifier cette accusation fantaisiste, la chambre disciplinaire de l’Ordre a donc estimé que les Pr Debré et Even avaient « gravement manqué à l’obligation de prudence » et les a condamnés, ainsi que pour « manque de confraternité » suite à leurs critiques des cardiologues et allergologues.
Ils ont raison sur le cholestérol
Sur le plan scientifique, leurs déclarations sur le cholestérol et les dangers des médicaments anti-cholestérol sont pourtant irréprochables.
Le Pr Even a répondu aux accusations dirigées contre lui par un texte long publié sur Internet, à destination des médecins et journalistes scientifiques [2].
J’y reviendrai, car le sujet est crucial. Mais en quelques mots, il rappelle avec justesse que ce n’est pas le cholestérol qui encrasse les artères et crée les plaques d’athérome qui conduisent à l’infarctus et aux AVC. Pour 90 % des patients, les médicaments faisant baisser le cholestérol (statines) sont inutiles ou nuisibles.
Une condamnation scandaleuse
La condamnation de ces deux médecins est scandaleuse.
Il est évident que ce livre, vendu à plus de 200 000 exemplaires, a fait un bien fou à notre système de santé. Il sauvera des vies. Il met en garde contre les arnaques des fausses études scientifiques publiées sous l’influence de l’industrie pharmaceutique. Il signale d’innombrables médicaments qu’il faut à tout prix éviter. Il rappelle qu’il est urgentissime d’arrêter la gabegie financière autour de médicaments et traitements qui n’ont pas de justification scientifique.
Mais au-delà des abus et dangers dénoncés, ce livre est un émouvant plaidoyer en faveur d’une médecine sobre.
Plaidoyer pour une médecine sobre
Les auteurs rappellent que la médecine ne consiste pas d’abord à distribuer des médicaments, mais :
« à accueillir un homme, un enfant ou un vieillard qui sont, ou se sentent malades, de les écouter, les interroger, les regarder, les examiner, analyser leurs symptômes, leur vie, leurs difficultés affectives, familiales, professionnelles. Tous sont des individus uniques et des individus dans la société. Les maladies n’existent pas, il n’y a que des malades. » (page 52)
Je voudrais que cette déclaration soit affichée en grand sur la porte de tous les médecins et à l’entrée de tous les hôpitaux !! C’est magnifique, tout simplement.
Et de continuer :
« L’apprendre devrait être l’essentiel de la formation initiale des médecins. Ce n’est pas inné. Il faut vouloir capter [la] confiance [des patients], leur montrer de l’empathie, de la compassion, même quand ils ne la suscitent pas, et cela, c’est déjà de la thérapeutique. » (page 53).
J’ai applaudi des deux mains en lisant cela. J’en avais presque les larmes aux yeux. Que l’Ordre des médecins puisse condamner de telles personnes pour « manque de confraternité », c’est absurde.
J’encourage vraiment toutes les personnes qui ne l’ont pas encore fait à se procurer ce livre. C’est en tout cas une lecture qui devrait être obligatoire en faculté de médecine.
Par contre, je dois néanmoins faire une petite mise en garde aux lecteurs de Santé Nature Innovation au sujet d’un aspect un peu dérangeant de l’ouvrage.
Peu d’estime pour les médecines naturelles…
Les auteurs critiquent les médecins qui ont la main lourde en prescrivant des médicaments. Ils dénoncent les abus de l’industrie pharmaceutique. Ils appellent même les pouvoirs publics à prendre des mesures « brutales » contre elle.
Pour les personnes qui ont conscience du nombre d’études médicales falsifiées pour justifier la commercialisation de médicaments dangereux, ces mots sonnent doux aux oreilles.
Mais il faut savoir que les deux professeurs de médecine tiennent des propos d’une égale dureté envers les médecines naturelles.
En page 183 du livre, ils écrivent ce qu’ils pensent vraiment à ce sujet, sous le titre peu flatteur « Rites, danses et gris-gris ». C’est un passage plein de la plus grinçante ironie, et qui mélange pêle-mêle :
« l’homéopathie, si pittoresque et moliéresque, la médecine des plantes, de préférence mystérieuses, chinoises ou mexicaines, la teinture de badiane, l’extrait de crataegus, les oligoéléments, le magnésium surtout, très apprécié le magnésium, mais aussi le zinc, le cuivre et même l’or, les passes magnétiques, la mésothérapie, la sophrologie, les danses rituelles, les baquets de Messmer-Cagliostro qui faisaient accourir tout Paris vers 1780, y compris Marie-Antoinette déguisée, et encore les tatouages cabalistiques, le yoga transcendantal, la métempsychose, la méditation zen, le tai-chi, la gymnastique suédoise, la planche à clous du fakir Burmah, les pépins de courge, l’extrait de marron d’Inde, les feuilles de gingko, le tango argentin, la samba brésilienne, le hula hoop, le rap, les crapauds des sorcières de Macbeth, le vaudou, les cataplasmes, les sinapismes Rigollot, les clystères insinuatifs, carminatifs ou rémollients, le régime Dukan, les cures thermales remboursées, spécialité presque exclusivement française – n’y aurait-il de sources qu’en France et à Marienbad, Wiesbaden ou Montecatini ? – ou encore la scientologie, l’imposition des mains, le pèlerinage à Lourdes, les prières à toutes les divinités, chapelets divers en main, ou par la lecture de Lacan, Foucault ou Althusser, qui ont l’art, très imité, de parler chinois dans leur propre langue. »
Les lecteurs fidèles de Santé Nature Innovation reconnaîtront là un procédé littéraire que nous avons déjà dénoncé : l’amalgame, qui permet de dénigrer une pratique légitime en la mettant sur le même plan que des bizarreries indéfendables.
Ainsi, il ne me paraît pas honnête de mélanger, dans un même paragraphe, le magnésium, lesoligoéléments ou la médecine par les plantes avec le tango argentin, le rap, les crapauds des sorcières et la scientologie.
C’est insultant. C’est idiot aussi. Car dans la liste qui est donnée, un grand nombre de remèdes et techniques sont efficaces. C’est documenté :
- Plusieurs méta-analyses ont confirmé l’efficacité du marronnier d’Inde pour traiter l’insuffisance veineuse, un problème de circulation dans les jambes qui entraîne la formation de varices, voire la phlébite. Il s’agit d’études en double aveugle contre placébo [3]. Ce traitement est même reconnu par l’Organisation mondiale de la santé. Pourquoi le mettre en cause gratuitement alors qu’il aide les malades, et n’a aucun effet secondaire [4] ?
- La badiane est une plante médicinale reconnue contre les problèmes digestifs, en particulier les ballonnements [5].
- Comment contester l’intérêt du zinc pour la santé ? Il est nécessaire à plus d’une centaine de processus enzymatiques vitaux dans l’organisme (des experts les estiment à 300). Il participe à la synthèse de l’ADN, de l’ARN et des protéines, aux processus immunitaires et de guérison des blessures, à la reproduction et à la croissance. Il joue un rôle dans la modulation de l’humeur et dans l’apprentissage, ainsi que dans la vision, le goût et l’odorat. Il intervient dans le processus de la coagulation sanguine, dans les fonctions de l’hormone thyroïdienne, ainsi que dans le métabolisme de l’insuline !
- De même, à notre époque où le stress fait des ravages, provoquant anxiété chronique, dépressions, ulcères, pourquoi moquer les méthodes de relaxation (sophrologie, tai-chi, méditation), les prières, et mettre dans un même panier toutes les démarches spirituelles dans lesquelles l’homme peut s’engager pour essayer de trouver un sens à sa vie, et redéfinir ses ordres de priorité ?
- Pourquoi attaquer les cures thermales, une pratique qui soulage en douceur d’innombrables personnes souffrant de douleurs lombaires, de rhumatismes et d’arthrose ? Est-ce par pure illusion que cette pratique existe depuis l’Antiquité aussi bien dans l’Empire romain qu’en Inde, au Japon, et depuis plus de 1 000 ans dans les pays nordiques, russes, scandinaves ainsi que chez les Amérindiens avec leurs huttes de sudation (sweat lodges) ? Ces deux médecins savent-ils ce que c’est que d’avoir mal au dos, et le désarroi où l’on se trouve quand on ne peut plus prendre de médicaments anti-inflammatoires, parce qu’ils vous ont percé l’estomac ??
- Et le régime Dukan ? Je dois avouer que je n’ai jamais compris l’hostilité dont il est victime dans les étroites frontières de la France. Manger plus de protéines, pour maigrir, mais aussi pour être en meilleure santé est un excellent conseil [6]. Contrairement à ce que disent les médias, la science a montré que cela ne présente aucun danger pour les reins [7]. Il suffit que les protéines végétales représentent au moins un tiers des protéines totales et, pour les fibres, de consommer du son d’avoine et des légumes, comme le recommande le régime. Le prétendu « effet yoyo » n’est qu’une conséquence naturelle du fait que 80 % des personnes se remettent à manger mal. Non, quelques mois du régime Dukan ne vous vaccinent pas à vie contre l’obésité. Est-ce une surprise ? Reste que sur les dizaines de millions de personnes qui l’ont essayé, 20 % ont perdu leur poids durablement. Cela représente des millions de gens. Tout le monde ne peut pas en dire autant.
- Attaquer les cataplasmes en tant que pratique thérapeutique a-t-il le moindre sens ?? Les cataplasmes d’argile, cire d’abeille et huile d’olive (parfois aussi du beurre de karité) peuvent soigner des plaies d’apparence inguérissable [8]. Un cataplasme n’est qu’une préparation à appliquer sur la peau dans un but thérapeutique. Cela fonctionne comme les « patchs ». Car la peau, personne ne le conteste, est capable d’absorber les substances actives. On peut discuter de la pertinence de la composition du cataplasme. Sans doute y a-t-il de nombreux cataplasmes qui ne marchent pas. Mais mettre en cause le principe même ? Soyons sérieux…
Et je pourrais en dire autant sur les vertus du gingko, l’importance du cuivre, l’homéopathie bien sûr, la gymnastique (y compris « suédoise » ! )…
A leur décharge, les deux Professeurs ne demandent pas d’interdire tout ça. Non, ils demandent seulement que, surtout, rien ne soit remboursé parce que « l’important, c’est d’y croire », autrement dit « c’est dans la tête que ça se passe ».
Mais, outre que cela soit faux, ces sarcasmes me paraissent en totale contradiction avec leur belle profession de foi du départ sur la nécessité, pour un médecin, de cultiver avant tout « l’empathie » et « la compassion ».
Charge contre les « maladies imaginaires »
Cela n’aurait pu être qu’un passage malheureux, écrit trop rapidement, dans un livre certes énorme (plus de 900 pages !).
Mais je me suis franchement senti gêné pour eux lorsque je suis arrivé à cet autre passage où ils attaquent cette fois « l’invention de maladies moliéresques » qui « n’existent pas », et qui inclurait, selon eux :
« la fibromyalgie, les troubles musculo-squelettiques, le côlon irritable, la fatigue chronique, les jambes lourdes ou sans repos, le syndrome dysphorique menstruel » [9].
Là, c’est grave. Parce que cela jette un doute sérieux sur la dernière fois que ces grands pontes ont vu un patient en chair et en os. La fatigue chronique est la première cause de consultation chez les médecins. Les problèmes digestifs et le côlon irritable, la seconde. Quant à la fibromyalgie, elle est reconnue depuis 1992 par l’OMS et depuis 2006 en France, où elle peut donner droit à une invalidité de 1ère ou 2ème catégorie [10].
Je ne parle même pas du syndrome menstruel : il faut être un homme bien âgé pour avoir oublié les maux de tête, crises d’anxiété, gonflements et douleurs musculaires et troubles de l’humeur qui peuvent affecter les femmes dans la semaine qui précède l’arrivée des règles…
Le point commun entre ces différents syndromes, qui touchent des millions de gens, n’est absolument pas qu’ils « n’existent pas », mais que la médecine est incapable de les expliquer et qu’il n’existe aucun médicament pour les soigner, du moins pas un médicament simple, unique, applicable à tout le monde.
Comme pour la maladie de Lyme (qui n’a pas droit de cité dans l’ouvrage), il faut en général du temps pour trouver un traitement, en essayer de nombreux, associer différents moyens : médicaments, hypnose, moyens physiques tels que la neurostimulation externe, les massages, l’application de chaud ou de froid, un soutien psychologique, l’homéopathie, l’acupuncture, la sophrologie, et bien sûr les huiles essentielles, les compléments alimentaires bien dosés et bien ciblés, une nouvelle alimentation (rechercher les éventuelles intolérances).
Dans tous les cas, le patient doit donc se lancer dans une aventure, un long chemin de guérison. Et à moins d’une force morale exceptionnelle, il aura besoin d’être accompagné, soutenu par un médecin motivé et compatissant.
Si au contraire, il se fait humilier par un « grand ponte » en blouse blanche qui lui rit au nez en lui disant que « c’est dans la tête », excusez-moi mais je ne vois plus bien où est l’humanité de ce médecin.
Les médecins qui n’acceptent de reconnaître, et de soigner, que les maladies parfaitement définies et bien décrites dans leurs manuels, laissent sans le savoir à leur porte la majorité des malades. Et c’est justement pour toutes les personnes dont les symptômes ne sont pas clairs, dont la situation est problématique et douloureuse, qu’existent les médecines alternatives.
Pour le reste, ce pavé dans la mare (et pavé tout court) est à lire, et à conserver dans sa bibliothèque. En dehors de ces dérapages regrettables, il se boit comme du petit lait.
A votre santé !
Jean-Marc Dupuis
[1] Archives of Cardiovascular Diseases
[2] Polémique sur l’arrêt des statines. Le commentaire du Pr Even
[3] Suter A, Bommer S, Rechner J. Treatment of patients with venous insufficiency with fresh plant horse chestnut seed extract: a review of 5 clinical studies. Adv Ther. 2006 Jan-Feb;23(1):179-90. Pittler MH, Ernst E. Horse chestnut seed extract for chronic venous insufficiency. Cochrane Database Syst Rev. 2006 Jan 25;(1):CD003230. Review.
Clinical efficacy of horsechestnut seed extract in the treatment of venous ulceration. Leach MJ, Pincombe J, Foster G. J Wound Care. 2006 Apr;15(4):159-67.
[4] Siebert U, Brach M, et al. Efficacy, routine effectiveness, and safety of horsechestnut seed extract in the treatment of chronic venous insufficiency. A meta-analysis of randomized controlled trials and large observational studies.Int Angiol 2002 Dec;21(4):305-15.
[5] Badiane chinoise
[6] Réussir un régime protéiné
[7] Friedman AN, Ogden LG, Foster GD, Klein S, Stein R, Miller B, Hill JO, Brill C, Bailer B, Rosenbaum DR, Wyatt HR. Comparative Effects of Low-Carbohydrate High-Protein Versus Low-Fat Diets on the Kidney. Clin J Am Soc Nephrol. 2012 May 31.
[8] Une solution miracle contre les plaies, ulcères, nécroses ?
[9] Voir page 26 du Guide.