Et si, en dehors des forêts traditionnelles, il restait de la place pour d’autres, où les questions de gestion se poseraient bien différemment : des espaces qui pourraient s’appeler des “forêts comestibles” ?
Qu’est-ce qu’un jardin-forêt ? Un mélange d’arbres, arbustes, arbrisseaux, plantes grimpantes, légumes annuels, biannuels et vivaces, de champignons cultivés, qui produisent fruits, légumes, plantes aromatiques et médicinales, bois de chauffage etc.
C’est l’art d’imiter le développement forestier avec des plantes comestibles pour retourner au jardin d’Eden et arrêter de gagner son pain à la sueur de son front ! Mais attention, la nature en perpétuel mouvement n’assure pas qu’en copiant son modèle, celui-ci reste stable sur une longue durée…
Sans respecter les règles d’équilibre phytosociologiques, il est impossible de créer de systèmes pérennes. Il existe différents types d’interaction :
- morphologique (la maison) : espacement, morphologie aérienne et racinaire
- chimique (la pharmacie) : plantes aromatiques et piquantes (sauge, absinthe, oignons vivaces, etc.)
- alimentaire (le supermarché) : plantes productrices d’azote, de potasse, de minéraux rares
- sociologique (vie de groupe) : animaux auxiliaires, pollinisation, prédation, parasitoïdes, parasites, etc.
La biodiversité est indispensable aux plantes et à la production de fruits. Champignons, oiseaux, insectes sont à la fois des partenaires d’alimentation (fiente et excréments, mycorhize des champignons permettant l’absorption de l’eau et des minéraux), mais aussi de santé (antibiotiques, nettoyeurs de parasites).
Un jardin-forêt ne cesse d’évoluer au long des saisons et des années. Au printemps, les plantes d’ombre (cf.dessin) se dépêchent de pousser avant que les feuilles n’arrivent. C’est le moment de récolter l’ail des ours, la mâche, l’ortie, l’aegopode, et diverses racines, apios, oxalys…
En mai-juin arrivent les fruits des éleagnus, les amélanches, les cerises, et en juillet, les buissons fructifient (fraises, groseilles, framboises, cassis, casseilles, ragoumines). A leur pied poussent de la menthe, de la mélisse, du cerfeuil musqué ou des légumes vivaces (chou, poireau de Chine, cive, céleri vivace, coriandre, cerfeuille musqué, udu ou asperge citron, asperge verte et rouge, etc.)…
Enfin, les plus grands arbres, les morus, produisent des mûres, de juin pour les plus précoces à fin septembre pour les plus tardifs. Bienvenue également aux prunes, aux myrtilles d’Amérique, aux abricotiers de Suède, d’Ukraine qui fleurissent en avril-mai, évitant ainsi les gelées.
Viennent ensuite les pommes et poires précoces résistantes aux maladies de juillet-août puis jusqu’à l’hiver, les kiwis et kiwaï, mûres ronce, asimines, noisettes, noix, châtaignes, kakis, pomme/poire de garde, etc.
Ce paysage comestible se transforme aussi au fil des ans. Au début, les arbres ne donnent pas d’ombre. Il est possible de faire pousser entre eux la plupart des légumes annuels et vivaces, puis peu à peu, l’ombre prend le dessus, passant du plein soleil, à la mi-ombre où petits fruits, pommes de terre, arroches, choux vivaces, etc., peuvent encore être cultivés.
Enfin, à l’ombre forte, seules les plantes d’ombre de la strate 6 (voir illustration) survivront sous la canopée. Tout l’art du jardinier forestier consiste à choisir, à accompagner le mouvement naturel, en taillant les arbres pour faire de la lumière, ou en leur laissant un port naturel s’ils sont espacés, afin que leurs frondaisons ne se rejoignent pas (sept à vingt mètres selon les essences).
En fonction du biotope, du climat, de l’orientation, du projet, des besoins et des ressources des porteurs de projet, le design du jardin-forêt sera unique. Il est assez facile de se lancer dans la création d’un jardin forêt : il suffit juste de planter un espace qui ressemblera vite à une friche pleine de fruitiers.
Des erreurs peuvent être faites sans courir à la catastrophe, mais si l’on souhaite qu’un tel espace soit productif, facile à entretenir, pérenne, le design doit être réalisé par une personne compétente. Elle choisit les variétés adaptées au biotope (sol, climat), résistantes aux maladies, les agence entre elles, introduit les pollinisateurs adéquats, place les lianes pour qu’elles fructifient sans étrangler les arbres.
Autres tâches : placer les plantes de mi-ombre et d’ombre aux endroits où elle pourront se développer plusieurs années avant de devoir les déplacer, diagnostiquer le biotope pour pouvoir placer de quoi abriter les bons auxiliaires de culture.
Autonomie alimentaire et interdépendance écologique
Tout dépend de l’autonomie souhaitée (fruits, légumes, médicament, bois de chauffage, céréales). En fonction de la surface, de notre mode alimentaire et de notre gaspillage énergétique, il est facile d’être autonome au niveau alimentaire en mangeant peu de viande, de céréales et de produits laitiers, et en comptant environ 1000 m2 par personne (chiffre variant du simple au triple selon les les régions et les biotopes).
On constate souvent de gros surplus de pommes, prunes, raisin, noix, etc., et des manques (œufs, viande, fruits tropicaux comme les tomates, poivrons, etc.). Mieux vaut une interdépendance écologique (comme historiquement via les échanges) car l’autonomie en tant que telle n’a pas vraiment de sens.
Un jardin forêt bien conçu est le plus rentable de tous les autres systèmes de production agricole, et de loin, sauf au niveau financier, à cause du coût (très vite élevé si l’on ne sait pas produire soi même) et de l’absence de mécanisation car la biodiversité rend les récoltes complexes et demande une main d’œuvre très qualifiée (coût élevé également).
Enfin, les produits issus d’un jardin-forêt sont difficilement commercialisables (courte conservation, calibre irrégulier, plantes sauvages ou vivaces difficilement vendables…).
Au même titre, dans la sylviculture, la futaie jardinée atteint le plus haut niveau de production en bois et de rentabilité énergétique, mais n’est quasiment jamais mise en œuvre à cause des compétences humaines nécessaires, du temps d’entretien.
Quand il faut un ou deux chevaux pour sortir le bois, alors que les pelleteuses qui sortent le bois planté en rangs des forêt de l’ONF font en moyenne 800 chevaux, l’action s’avère peu rentable !
Le jour où un kilojoule généré par un muscle animal vaudra le même prix qu’un kilojoule produit par une machine, que la biodiversité et la qualité de vie seront inclus dans les calculs, peut-être l’écologie sera-t-elle enfin considérée comme“rentable”…
Formateur dans l’association La Forêt Nourricière, Franck Nathié effectue des recherches en phytosociologie et botanique alimentaire depuis plus de douze ans ainsi qu’en gestion positive des conflits humains depuis sept ans, dans le but de créer des éco-hameaux pérennes et harmonieux.
Possibilité de télécharger gratuitement, sur le site de l’association, de nombreux supports sur le design en permaculture et d’acheter films et documents pour permettre à cette structure non subventionnée d’accompagner des projets allant vers l’autonomie.
Source et photos : Article transmis amicalement par la revue Nature et Progrès
Photo chapô : La Permaculture.info
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