Le retard de la règlementation européenne
Mais l’encadrement des perturbateurs endocriniens reste insuffisant. Dans le plan Cancer présenté en février dernier, comme lors des deux dernières Conférences Environnementales, cet enjeu de santé environnementale semble relégué au second plan, voire évacué des débats.
Dans une tribune publiée l’année dernière, trois conseillers régionaux exhortaient ainsi le gouvernement à ne pas « oublier les perturbateurs endocriniens ».
Pour François Veillerette, l’un des signataires, par ailleurs fondateur et porte-parole de l’association Générations Futures qui s’intéresse de près au sujet,« c’est à l’Europe de donner le ‘‘la’’ en matière de réglementation sur les perturbateurs endocriniens ». Député EELV, Jean-Louis Roumégas confirme cette responsabilité : « Ce dossier doit impérativement être traité à l’échelle communautaire car il a des implications sanitaires, environnementales, industrielles et commerciales, autant de sujets qui relèvent du marché intérieur » écrit-il en synthèse de son rapport d’information sur la stratégie européenne en matière de perturbateurs endocriniens.
« Or la stratégie européenne ad hoc, qui date de 1999, est devenue obsolète au regard des progrès scientifiques enregistrés depuis lors » poursuit-il. Il se réfère au rapport Kortenkamp, publié en 2012. Sur la base de celui-ci, un autre rapport a été présenté l’année suivante par l’eurodéputé suédoise Asa Westlund, proposant une feuille de route à la Commission Européenne.
En mai 2013, une centaine de chercheurs internationaux a signé la Déclaration de Berlaymont pour enjoindre celle-ci à agir. « Une initiative sans précédent »selon Michèle Rivasi, députée européenne et corapporteure du rapport Westlund.
Mais le travail règlementaire reste dans l’impasse. La Suède aurait menacé il y a quelques mois d’attaquer la Commission européenne en carence pour son inaction dans le domaine. En cause, le non-respect des règlements biocides (528/2012) et pesticides (1107/2009) qui prévoyaient l’adoption d’une définition opérationnelle avant la fin 2013.
L’impossible définition ? La stratégie des lobbys
En cause, donc, la publication de critères de définition des perturbateurs endocriniens censés ouvrir la voie à une interdiction de ces substances. Mais sans définition, pas de règlementation. Or les intérêts industriels sont bien réels sur un marché des perturbateurs endocriniens qui représente plusieurs millions d’euros…
Dans Endoc(t)rinement, brillante enquête de deux ans rediffusée récemment sur France 5, Stéphane Horel met à jour la bataille d’influence qui paralyse les prises de décisions à Bruxelles. Derrière l’affrontement entre la Direction générale de l’Environnement, à qui incombe la responsabilité d’établir ce travail de définition, et les autres DG concernées (Industrie, entreprises et santé-consommation), se joue l’instrumentalisation de la science : en suscitant le doute par la contestation des résultats scientifiques faisant autorité, quelques experts aux conflits d’intérêt mal dissimulés parviennent à ralentir le processus.
Le parallèle peut être éabli avec la stratégie de l’industrie du tabac dans les années 1950, lorsqu’elle avait entrepris de remettre en cause le lien entre la cigarette et le cancer du poumon : gain de temps et influence exercée sont les mêmes. Michèle Rivasi a ainsi dû attendre cinq mois avant que la Commission européenne ne réponde à la lettre qui l’interpellait, pourtant signée par plusieurs parlementaires.
Interrogée par Reporterre, Mme Rivasi estime que « la stratégie de lobbying qui s’exerce en faveur des perturbateurs endocriniens est similaire en termes d’efficacité et d’importance à ce qui se joue dans le domaine du nucléaire ou de l’agro-business ». Les résultats en attestent : avec plusieurs mois de retard, la Commission européenne a publié en juin une « feuille de route » concernant les critères d’identification…
Il y a pourtant urgence. Et ce d’autant plus dans un contexte où continue de se négocier dans la plus grande opacité le traité de libre-échange dit « Tafta » qui pourrait alors voir l’Europe, en l’absence totale de règlementation, inondée de produits contenant des perturbateurs endocriniens…
Barnabé Binctin
Source : Reporterre
Ecouter par ailleurs : Pourquoi faut-il interdire les perturbateurs endocriniens ?