Les frites étaient « presque sacro-saintes pour moi », écrivait Ray Koc, un des fondateurs de McDonald’s, dans son autobiographie ; « leur préparation était un rituel à suivre religieusement ». Durant les premières années de la chaîne les frites étaient entièrement fabriquées chaque jour. Des pommes de terre Russet Burbank étaient pelées, coupées en barres, puis frites dans les cuisines de McDonald’s.
Au fur et à mesure que la chaîne s’agrandissait à l’échelle nationale, au milieu des années 60, celle-ci chercha à diminuer les coûts de la main d’oeuvre, réduire le nombre de fournisseurs, et s’assurer que leurs frites avaient le même goût dans chacun de leurs restaurants. McDonald’s commença à se convertir aux frites surgelées en 1966 – et peu de clients remarquèrent la différence. En tout état de cause cela affecta profondément l’agriculture et le régime alimentaire du pays. Un aliment familial avait été transformé en une nourriture industrielle hautement traitée. Les frites de McDonald’s provenaient désormais d’immenses usines de production qui pouvaient peler, trancher, cuire, et congeler plus de quatre millions de kilos de pommes de terre par jour. L’expansion rapide de McDonald’s et la popularité de ses frites produites en masse à bas coût changea la façon de manger des Américains. En 1960 les Américains consommaient une moyenne d’environ cent soixante-dix kilos de pommes de terre fraîches et neuf kilos de pommes de terre congelées. En 2000 ils consommaient une moyenne d’environ cent dix kilos de pommes de terre fraîches et soixante-cinq kilos de pommes de terre congelées. Aujourd’hui McDonald’s est le plus grand acheteur de pommes de terres aux Etats-Unis.
Le goût des frites de McDonald’s a joué un rôle crucial dans le succès de la chaîne – les frites sont bien plus rentables que les hamburgers – et a longtemps été couvert d’éloges par les clients, les concurrents, et même certains critiques gastronomiques. James Beard aimait les frites de McDonald’s. Leur goût distinctif ne provenait pas du type de pommes de terre que McDonald’s utilisait, de la technologie qui les traitait, ou de l’équipement du restaurant qui les friaient : d’autres chaînes utilisaient des Russell Burbank, achetaient leurs frites des mêmes grandes entreprises de traitement, et avaient les mêmes friteuses dans les cuisines de leurs restaurants. Le goût d’une frite est en fait largement déterminé par son huile de cuisson. Durant des décennies McDonald’s cuisait ses frites dans un mélange d’environ sept pour-cent d’huile de coton et quatre-vingt treize pour-cent de suif de boeuf. Ce mélange conférait aux frites leur saveur unique – et plus de graisse de boeuf saturée par kilo qu’un hamburger McDonald’s.
En 1990, après un déluge de critiques visant la quantité de cholestérol contenu dans ses frites, McDonald’s passa à l’huile végétale pure. Cela mettait la compagnie devant un défi de taille : comment faire des frites au subtil goût de boeuf sans les cuire dans le suif de boeuf ? Un regard sur les ingrédients des frites McDonald’s suggère comment le problème a été élucidé. Vers la fin de la liste se trouve un élément apparemment innocent mais néanmoins étrangement mystérieux : « arôme naturel ». Cet ingrédient aide à expliquer non seulement pourquoi les frites sont si bonnes mais également pourquoi la plupart des aliments traités – en fait, la plupart de la nourriture que les Américains consomment aujourd’hui – ont le goût qu’ils ont.
Ouvre ton frigo, ton congélateur, les placards de ta cuisine, et regarde les étiquettes sur la nourriture. Tu trouvera « arôme naturel » ou « arôme artificiel » sur quasiment toutes les listes d’ingrédients. Les points communs entre ces deux grandes catégories sont en réalité bien plus significatifs que leurs différences. Les deux sont des additifs créés par l’homme octroyant leur goût à la plupart des aliments traités. Les gens achètent habituellement un aliment la première fois en raison de son emballage ou de son apparence. C’est le goût qui détermine la plupart du temps s’ils en rachèteront à nouveau. Environ 90% de l’argent que les Américains dépensent aujourd’hui pour se nourrir est consacré à des aliments traités. Les techniques de conditionnement, de congélation, et de déshydratation utilisées lors des traitements détruisent l’essentiel du goût des aliments – et ainsi s’est constituée aux Etats-Unis une vaste industrie consacrée à rendre les aliments traités agréables au palais. Sans cette industrie du goût les fast-foods actuels n’existeraient pas. Les noms des chaînes de restauration rapide américaines dominantes et de leurs menus les plus vendus sont imprégnés dans la culture populaire. Mais peu de gens peuvent citer les noms des entreprises qui fabriquent le goût des fast-foods.
L’industrie du goût est hautement discrète. Ses principales compagnies ne divulguent pas les formules précises des composés aromatiques ou l’identité de leurs clients. La culture du secret est considérée comme indispensable afin de protéger la réputation de certaines marques adorées. Les chaînes de fast-food, de manière assez compréhensible, voudrait que le public croie que le goût de la nourriture qu’ils vendent tirent d’une manière ou d’une autre leur origine des cuisines de leurs restaurants, pas d’usines lointaines tenues par d’autres entreprises. Une frite de McDonald’s n’est qu’un des innombrables aliments dont le goût est simplement un composé issu d’un processus de fabrication complexe. L’aspect et le goût de ce que nous mangeons aujourd’hui sont souvent trompeurs – par conception.
Le New Jersey Turnpike est au coeur de l’industrie du goût ; c’est un corridor industriel peuplé de raffineries et d’usines chimiques. L’International Flavors & Fragrances, ou IFF (ndt : Internationale des Arômes et Parfums), la plus grande firme d’arômes au monde, possède une usine de production au niveau de la sortie 8A à Dayton, New Jersey. Givaudan, la deuxième plus grande compagnie au monde, a une usine à East Hanover. Haarmann & Reimer, la plus importante entreprise d’arômes allemande, possède une usine à Teterboro, de même que Takasago, la plus grande entreprise d’arômes japonaise. Flavor Dynamics a une usine à South Plainfield, Frutarom est située à North Bergen, Elan Chemical à Newark. Des douzaines de firmes fabriquent des arômes au sein de ce corridor entre Teaneck et South Brunswick. Toute cette zone prise dans son ensemble produit environ les deux tiers des additifs aromatiques vendus aux Etats-Unis.
L’usine de l’IFF de Dayton est un immense bâtiment bleu pâle avec un complexe moderne de bureaux situé à l’avant. Elle est localisée dans un parc industriel, non loin d’une fabrique de plastiques BASF, d’une fabrique de pain perdu Jolly, et d’une usine produisant des cosmétiques Liz Claiborne. Des douzaines de semi-remorques étaient garés sur le parvis d’IFF l’après-midi de ma visite, et un fin nuage de fumée flottait près de la ventilation d’un toit. Avant d’entrer dans l’usine, je signai un accord de confidentialité promettant de ne pas révéler le nom des marques de nourriture contenant des produits IFF. L’endroit m’a remémoré la chocolaterie de Willy Wonka. Des odeurs merveilleuses flottaient le long des couloirs, des hommes et des femmes en blouses blanches élégantes vaquaient joyeusement à leur travail, et des centaines de petites bouteilles de verre étaient en place sur les tables et étagères des laboratoires. Les bouteilles contenaient de puissants mais fragiles composés chimiques aromatiques, protégés de la lumière par du verre brun et des bouchons ronds et blancs étroitement vissés. Les longs noms chimiques sur les petites étiquettes blanches étaient aussi mystificatrices pour moi que le latin médiéval. Ces choses aux noms bizarres seraient mélangées et transvasées et transformées en de nouvelles substances, telles des potions magiques.
Je n’étais pas invité dans les zones de production de l’usine de l’IFF, où, devait-on penser, je pourrais découvrir des secrets commerciaux. Au lieu de celà j’ai exploré divers laboratoires et cuisines pilotes, où les arômes de marques bien établies étaient testés ou ajustés, et où des saveurs totalement nouvelles étaient créées. Le labo IFF « snack et saveur » est responsable des arômes de chips de pommes de terre, de chips de blé, de pains, de crackers, de céréales, et de nourriture pour animaux domestiques. Le laboratoire de confiserie met au point des arômes de crèmes glacées, de cookies, de bonbons, de dentifrices, de bains de bouche, et d’antiacides. Partout où j’ai regardé j’ai vu des produits célèbres et fréquemment publicisés trôner sur des bureaux et tables de laboratoires. Le laboratoire de boissons était rempli de liquides de couleurs brillantes dans des bouteilles translucides. Il en sort des arômes pour boissons sans alcool, boissons sportives, thés froids, vins aromatisés (wine coolers), ainsi que pour jus 100% naturels, boissons organiques au soja, bières, et liqueurs de malt. Dans une cuisine pilote je vis un scientifique alimentaire pimpant, un homme d’âge moyen portant une élégante cravate sous sa blouse blanche repassée ondoyante, concoctant avec attention une série de cookies avec glaçage blanc et vermicelles roses et blanches. Dans une autre cuisine pilote je vis un four à pizza, un grill, une machine à milk-shakes, et une friteuse, identiques à d’autres que j’avais vus dans d’innombrables fast-foods.
En plus d’être la plus la plus grande compagnie de production d’arômes au monde, l’IFF fabrique les odeurs de six des dix parfums fins les plus vendus aux Etats-Unis, incluant Beautiful de Estée Lauder , Happy de Clinique, Trésor de Lancôme, et Eternity de Calvin Klein. Elle fait aussi les parfums de produits ménagers tels que les désodorisants, les produits vaisselle, les savons, les shampooings, les laques pour meubles, et les cires pour le sol. Tous ces arômes sont essentiellement réalisés suivant les mêmes processus : la manipulation de produits chimiques volatils. La science basique derrière le parfum de ta mousse à raser est la même que celle régissant le goût de ton plateau télé.
Les scientifiques sont maintenant convaincus que les humains ont acquis le sens du goût comme moyen d’éviter d’être empoisonnés. Les plantes comestibles ont généralement un goût sucré, les plantes dangereuses un goût amer. Les papilles gustatives sur notre langue peuvent détecter la présence d’environ une demi-douzaine de goûts basiques, incluant le sucré, l’acide, l’amer, le salé, l’astringent, et l’umami, un goût découvert par des chercheurs japonais – un riche et intense sens de déliciosité déclenché par les acides aminés d’aliments tels que les viandes, les fruits de mer, les champignons, les pommes de terre, et les algues. Les papilles gustatives offrent toutefois des moyens de détection limités comparativement au système olfactif humain, qui peut percevoir des milliers d’arômes chimiques différents. De fait, l' »arôme » est essentiellement le parfum des gaz libérés par les éléments chimiques que tu viens juste de mettre dans ta bouche. L’arôme d’un aliment peut être responsable de jusqu’à 90 pour-cent de son goût.
L’acte de boire, de sucer, ou de mâcher une substance libère ses gaz volatils. Ils s’échappent de ta bouche jusqu’à tes narines, ou s’engouffrent dans le passage à l’arrière de ta bouche vers une fine couche de cellules nerveuses appelée épithélium olfactif, située à la base du nez, juste entre les deux yeux. Ton cerveau combine les complexes signaux d’odeurs de l’épithélium olfactif avec les simples signaux gustatifs de la langue, attribue un goût à ce qui est dans ta bouche, et décide si c’est quelque chose que tu veux manger ou pas.
Les préférences alimentaires d’une personne, tout comme sa personnalité, sont formées lors des premières années de sa vie, via un processus de socialisation. Les bébés préfèrent de façon innée les goûts sucrés et rejettent les goûts amers ; les jeunes enfants peuvent apprendre à apprécier la nourriture épicée et pimentée, la nourriture saine, ou le fast-food, en fonction de ce que mangent les personnes de leur entourage. Le sens humain de l’odorat n’est aujourd’hui pas complètement compris. Il est en grande partie affecté par des facteurs psychologiques et des attentes. L’esprit se focalise intentionnellement sur certains des arômes qui nous entourent dont il filtre une immense majorité. Les gens peuvent grandir habitués à de mauvaises ou bonnes odeurs ; ils finissent par ne plus remarquer ce qui autrefois semblait les dépasser. Les arômes et la mémoire semblent d’une certaine manière inextricablement liés. Un parfum peut soudainement évoquer un moment oublié depuis longtemps. Les saveurs des aliments de l’enfance paraissent laisser une empreinte indélébile, et les adultes y retournent souvent sans toujours savoir pourquoi. Ces « aliments de confort » deviennent une source de plaisir et de repères – un fait que les chaînes de restauration rapide utilisent à leur avantage. Les souvenirs d’enfance des Happy Meals, qui sont servis avec des frites, peuvent se traduire par de fréquentes visites des adultes chez McDonald’s. En moyenne, les Américains mangent aujourd’hui environ quatre portions de frites chaque semaine.
La quête humaine du goût a constitué une force dans l’Histoire très peu reconnue et examinée. Pendant des millénaires des empires ont été construits, des contrées inexplorées traversées, et de grandes religions et philosophies complètement transformées par le commerce des épices. En 1492 Christophe Colomb menait une expédition pour trouver des condiments. Aujourd’hui l’influence du goût sur le marché mondial n’est pas moins décisive. La croissance et la chute d’empires de firmes – d’entreprises de boissons, de snacks, de restauration rapide – est souvent déterminée par le goût de leurs produits.
L’industrie du goût a émergé vers le milieu du 19e siècle, alors que les aliments traités commençaient à être confectionnés à grande échelle. Reconnaissant l’existence d’un besoin pour des additifs aromatiques, les premiers traiteurs alimentaires se sont tournés vers les compagnies de parfumerie, qui possédaient une longue expérience de travail avec les huiles essentielles et les arômes volatils. Les grandes maisons de parfums d’Angleterre, de France et des Pays-Bas, produisirent la majorité des premiers composés aromatiques. Au début du 20e siècle l’Allemagne prit sur le plan technologique la tête de la production d’arômes grâce à sa puissante industrie chimique. La légente raconte que c’est un scientifique allemand qui découvrit l’anthranilate de méthyle, un des premiers arômes artificiels, en mélangeant accidentellement des produits chimiques dans son laboratoire. Soudain le labo était empli d’un doux parfum de raisin. L’anthranilate de méthyle devint plus tard le composé aromatique principal du Kool-Aid raisin. Après la deuxième guerre mondiale la plupart de l’industrie du parfum quitta l’Europe pour les Etats-Unis, s’installant à New York près du quartier du textile et des maisons de mode. L’industrie du goût vint avec elle, avant de partir plus tard dans le New Jersey en raison des plus grandes capacités de production. Des additifs aromatiques réalisés par l’homme étaient utilisés essentiellement dans les produits cuits, les bonbons, et les sodas, jusqu’aux années 50, lorsque les ventes d’aliments traités se mirent à s’envoler. L’invention des chromatographes à gaz et des spectromètres de masse – des machines capables de détecter des gaz volatils en très petite quantité, augmenta spectaculairement le nombre d’arômes pouvant être synthétisés. Au milieu des années 60 les compagnies d’arômes fabriquaient des composés fournissant le goût des Pop Tarts, des Bac-O, des Tab, des Tang, des Filet-O-Fish, et littéralement de milliers d’autres nouveaux aliments.
L’industrie américaine des arômes a aujourd’hui des revenus annuels d’à peu près 1,4 milliards de dollars. Environ 10000 nouveaux aliments traités sont introduits chaque année aux Etats-Unis. Presque la totalité d’entre eux comporte des additifs aromatiques. Et environ neuf dixièmes de ces produits échouent. Les dernières innovations dans le domaine et les mouvements stratégiques des entreprises sont annoncés dans des publications telles que Chemical Market Reporter,Food Chemical News, Food Engineering, ou Food Product Design. La progression de l’IFF a reproduit celle de l’industrie des arômes. L’IFF fut formée en 1958 à travers la fusion de deux petites entreprises. Ses revenus annuels se sont accrus d’un facteur quinze depuis le début des années 70, et elle possède actuellement des usines de production dans vingt pays.
Les spectromètres, chromatographes, et analyseurs de vapeurs sophistiqués d’aujourd’hui fournissent une carte détaillée des composés aromatiques d’un aliment, détectant des arômes chimiques présents dans des proportions aussi faibles qu’une part par milliard. Le nez humain, toutefois, est encore plus sensible. Un nez peut détecter des arômes présents à raison de quelques parts par billion, soit 0,000000000003 pour-cent. Les arômes complexes, tels ceux du café et de la viande rôtie, sont composés de gaz volatils de presque un millier de produits chimiques. L’odeur d’une fraise émerge de l’interaction d’environ 350 produits chimiques présents en infimes quantités. La qualité que les gens recherchent le plus dans un aliment – le goût – est habituellement présente en quantité trop infinitésimale pour être définie dans les termes traditionnellement culinaires que sont par exemple la tasse ou la cuillère à café. La substance chimique donnant l’arôme dominant du poivron peut être perçue dès 0,02 part par milliard ; une goutte est suffisante pour aromatiser cinq piscines. Les additifs aromatiques apparaissent dans les derniers sur la liste des ingrédients d’un aliment traité et coûtent souvent moins que l’emballage. Les boissons sans alcool contiennent en général une plus grande proportion d’additifs aromatiques que les autres produits ; le goût d’une canette de coca coûte environ un demi-centime.
Les colorants dans les aliments traités sont généralement présents dans des quantités encore plus infimes que les composés aromatiques. Beaucoup d’entreprises d’arômes du New Jersey fabriquent également ces colorants, utilisés pour que les aliments traités aient l’air frais et attrayants. La coloration des aliments a finalement les mêmes objectifs décoratifs que le rouge à lèvres, l’ombre à paupières, ou le mascara – et elle est souvent accomplie grâce aux mêmes pigments. Le dioxyde de titane, par exemple, s’est avéré être un minéral incroyablement versatile. Il donne à de nombreux bonbons, saupoudrages, et glaçages leur brillante couleur blanche, c’est un des ingrédients communs de la cosmétique féminine, et c’est le pigment utilisé dans de nombreuses peintures à l’huile et peintures domestiques blanches. Chez Burger King, Wendy’s, et McDonald’s, des agents colorants ont été ajoutés à la plupart des boissons, sauces salades, cookies, condiments, produits au poulet, et pains à hamburgers.
Des études ont montré que la couleur d’un aliment peut énormément influencer la manière dont son goût est perçu. Les aliments brillamment colorés paraissent fréquemment avoir meilleur goût que ceux d’apparence terne, même lorsque les composants aromatiques sont les mêmes. Les aliments semblant de couleur décalée paraissent aussi de goût décalé. Durant des milliers d’années les êtres humains se sont fiés à des indices visuels pour les aider à déterminer ce qui était comestible. La couleur d’un fruit suggère s’il est mûr, la couleur d’une viande si elle est rance. Les chercheurs en arômes ont parfois utilisé des lumières colorées pour modifier l’influences des indicateurs visuels lors de tests de goût. Au cours d’une expérience au début des années 70 des gens reçurent un steak-frites d’allure normale sous l’éclairage teinté installé. Tout le monde pensa que le repas était très bon jusqu’à ce que l’éclairage normal soit rétabli, et qu’il devint apparent qu’en réalité le steak était bleu et les frites vertes. Certains en tombèrent malades.
La Food & Drug Administration fédérale (ndt : ou FDA, l’agence pharmaco-alimentaire américaine) n’exige pas que les entreprises divulguent les ingrédients de leurs colorants ou arômes du moment que tous leurs composés soient considérés GRAS (Generally Recognized As Safe, i.e. Généralement Reconnus Comme Sains). Cela permet aux entreprises de maintenir leurs formules secrètes. Cela dissimule aussi le fait que les arômes contiennent souvent plus d’ingrédients que les aliments auxquels ils donnent goût. L’expression « arôme artificiel de fraise » renseigne peu sur toute la sorcellerie chimique et les talents de fabrication mis en oeuvre pour donner à un aliment traité le goût de fraise.
Un arôme artificiel typique de fraise tel celui trouvé dans un milk shake Burger King contient les ingrédients suivants : acétate d’amyle, butyrate d’amyle, valérate d’amyle, anéthol, formate d’anisyle, acétate de benzyle, isobutyrate de benzyle, acide butyrique, isobutyrate de cinnamyle, valérate de cinnamyle, huile essentielle de cognac, diacétyle, dipropylcétone, acétate d’éthyle, éthylamylcétone, butyrate d’éthyle, cinnamate d’éthyle, heptanoate d’éthyle, heptylate d’éthyle, lactate d’éthyle, méthylphenylglycidate d’éthyle, nitrate d’éthyle, propionate d’éthyle, valérate d’éthyle, héliotropine, hydroxyphényl-2-butanone (en solution à 10% dans de l’alcool), a-ionone, anthranilate d’isobutyle, butyrate d’isobutyle, huile essentielle de citron, maltol, 4-méthylacétophénone, anthranilate de méthyle, benzoate de méthyle, cinnamate de méthyle, carbonate heptinique de méthyle, méthylnaphthylcétone, salicylate de méthyle, huile essentielle de menthe, huile essentielle de néroli, néroline, isobutyrate de néryle, beurre d’iris, alcool phénéthylique, rose, éther de rhum, g-undécalactone, vanilline, et solvant.
Bien que les arômes émergent habituellement d’un mélange de nombreux produits chimiques volatils, c’est souvent un unique composé qui fournit la note dominante. Respiré seul, ce composé engendre une impression sans équivoque de l’aliment. L’éthyl-2-méthylbutyrate, par exemple, sent exactement comme une pomme. Beaucoup d’aliments actuels hautement traités offrent une palette vierge : les substances chimiques ajoutées par la suite leur conféreront leur goût spécifique. La méthyl-2-pyridylcétone octroie à une chose un goût de popcorn. L’éthyl-3-hydroxybutanoate lui octroie un goût de marshmallow. Les possibilités sont presque infinies. Sans altérer leur apparence ni leur valeur nutritionnelle, les aliments traités pourraient contenir des arômes chimiques tels l’hexanal (l’odeur d’herbe fraîchement coupée) ou l’acide 3-méthylbutanoïque (l’odeur du corps humain).
Les années 60 assistèrent au triomphe des arômes artificiels aux Etats-Unis. Les versions synthétiques des composés aromatiques n’étaient pas subtiles, mais elles n’avaient pas besoin de l’être, étant donnée la nature de la plupart des aliments traités. Tout au long des vingt dernières années les compagnies traitant les aliments ont énormément travaillé pour n’utiliser que des « arômes naturels » dans leurs produits. Selon la FDA, ceux-ci doivent entièrement être dérivés de sources naturelles – d’herbes, d’épices, de fruits, de légumes, de boeuf, de poulet, de levures, d’écorces, de racines, etc. Les consommateurs préfèrent voir le terme d’arômes naturels sur une étiquette, peut-être par croyance qu’ils sont plus sains. Les distinctions entre arômes naturels et artificiels peuvent être arbitraires et parfois absurdes ; elles sont davantage basées sur la façon dont la substance a été obtenue que sur ce qu’elle contient.
« Un arôme naturel », explique Terry Acree, professeur de science alimentaire à l’Université Cornell, « est un arôme dérivé d’une technologie obsolète ». Les arômes naturels et artificiels contiennent parfois exactement les mêmes produits chimiques, mais obtenus par des méthodes différentes. L’acétate d’amyle, par exemple, fournit la note dominante de l’arôme de banane. Lorsqu’elle est extraite de bananes avec un solvant, il s’agit d’un arôme naturel. Lorsqu’elle est produite en mélangeant du vinaigre et de l’alcool amylique en ajoutant de l’acide sulfurique comme catalyseur, c’est un arôme artificiel. Dans les deux cas elle a le même goût et la même odeur. « Arôme naturel » figure aujourd’hui parmi les ingrédients de tous les produits, des barres Granola Health Valley à la Hot Taco Sauce de Taco Bell.
Un arôme naturel n’est pas nécessairement plus sain ou plus pur qu’un arôme artificiel. Lorsque l’arôme d’amande – le benzaldéide – est dérivé de sources naturelles, tel le noyau de la pêche ou de l’abricot, il contient des traces de cyanide d’hydrogène, un poison mortel. Le benzaldéide obtenu en mélangeant de l’huile de clous de girofles et de l’acétate d’amyle ne contient pas de cyanide d’hydrogène. Néanmoins il est légalement considéré comme un arôme artificiel et vendu à un prix bien plus bas. Les arômes naturels et artificiels sont fabriqués aujourd’hui dans les mêmes usines chimiques, des endroits que peu de gens associeraient à Mère Nature.
Le petit groupe d’élite de scientifiques qui créent la plupart des arômes de l’essentiel de nos aliment se fait appeler « confectionneurs d’arômes » (ndt : « flavorists »). Ils tirent profit d’un certain nombre de disciplines dans leur travail : biologie, psychologie, physiologie, chimie organique… Un confectionneur d’arômes est un chimiste muni d’un nez entraîné et d’une sensibilité poétique. Les arômes sont créés en fusionnant les effluves de différents produits chimiques en petite quantité – un processus régi par des principes scientifiques mais exigeant des qualités artistiques certaines. Dans un monde où les arômes délicats et les fours à micro-ondes ne coexistent pas facilement, le travail du confectionneur d’arômes est de mettre en place l’illusion sur la nourriture traitée, et, en des termes issus de la littérature des industries du goût, de s' »assurer de l’appréciation du consommateur ». Les confectionneurs d’arômes avec lesquels je me suis entretenu étaient discrets, en accord avec les exigences de la profession. Ils étaient également charmants, cosmopolites, et ironiques. Un de confectionneurs d’arômes a comparé son travail à la composition musicale. Un composé aromatique de qualité aura ainsi une « note dominante » souvent suivie d’une « descente » et d’un « adieu », différents produits chimiques étant responsables de chaque étape. Le goût d’un aliment peut être radicalement altéré par de minuscules changements dans la composition de l’arôme. « Une petite odeur est issue d’un long chemin », m’a dit un confectionneur d’arômes. Extrait des archives :
« Le nez à un million de dollars » de William Langewiesche (décembre 2000) : Robert Parker Jr est un Américain débonnaire muni d’un talent unique pour juger le vin. Il est infatiguable et incorruptible, et son système numérique de notation fait l’objet de la confiance de millions de personnes. Son goût a fait changer la manière avec laquelle le vin est fabriqué et vendu. Naturellement, les Français le détestent. Naturellement, ils l’honorent. Pour attribuer à un aliment traité un goût que les consommateurs trouveront satisfaisant, un confectionneur d’arômes se doit toujours de considérer la « sensation en bouche » – l’unique combinaison de textures et d’interactions chimiques définissant comment la saveur est perçue. La sensation en bouche peut être ajustée à travers l’utilisations de diverses graisses, gommes, gélifiants, émulsifiants, et stabilisateurs. L’arôme chimique d’un aliment peut être analysé très précisément, mais les éléments déterminant la sensation en bouche sont bien plus difficiles à quantifier. Comment mesurer la fermeté d’un bretzel, la croustillance d’une frite ? Les technologues alimentaires mènent maintenant des recherches en rhéologie, la branche de la physique examinant les flux et les déformations des matériaux. Un certain nombre d’entreprises vendent des machines sophistiquées qui s’essayent à mesurer la sensation en bouche. Le TA.XT2i Texture Analyzer, produit par la Texture Technologies Corporation, de Scarsdale, New York, effectue des calculs basés sur des données dérivées de pas moins de 250 tests séparés. Il s’agit essentiellement d’une bouche mécanique, jugeant les propriétés rhéologiques les plus importantes des aliments – l’élasticité, la fragilité, la densité, la croustillance, l’onctuosité, le moëlleux, la rugosité, la facilité à être mâché, à être étalé, à créer du jus, à absorber, etc, etc.
Certaines des plus importantes avancées dans la fabrication d’arômes ont lieu aujourd’hui sur le plan des biotechnologies. Des arômes complexes sont créés en utilisant des réactions enzymatiques, la fermentation, et la culture de champignons et de tissus. Tous les arômes créés par ces méthodes – y compris ceux synthétisés par voie fongique – sont considérés comme naturels par la FDA. Ces nouveaux procédés à bases d’enzymes sont responsables de nouveaux arômes lactés extrêmement réalistes. Une entreprise offre aujourd’hui non seulement un arôme de beurre, mais aussi de beurre crémeux frais, de beurre coulant, de beurre laiteux, de beurre fondu, et de beurre super-concentré, sous forme liquide ou de poudre. Le développement de nouvelles techniques de fermentation et de nouvelles méthodes de chauffage de mélanges de sucres et d’acides aminés ont de leur côté créé des arômes de viande encore plus réalistes.
La McDonald’s Corporation a très vraisemblablement profité de ces avancées lorsqu’elle a éliminé le suif de boeuf de ses frites. La compagnie ne révèle pas l’origine exacte des arômes naturels ajoutés à ses frites. En réponse à des demandes du Vegetarian Journal, toutefois, McDonald’s a reconnu que les frites tiraient certains de leurs arômes caractéristiques d’une « origine animale ». Le boeuf est la source probable, mais d’autres viandes ne peuvent être exclues. En France par exemple les frites sont parfois cuites dans de la graisse de canard ou du suif de cheval.
D’autres aliments populaires de la restauration rapide tirent leur goût spécifique d’ingrédients inattendus. Les Chicken McNuggets de McDonald’s contiennent des extraits de boeuf, de même que le Grilled Chicken Sandwich de Wendy’s. Le BK Broiler Chicken Breast Patty contient un « arôme naturel de fumée ». Une entreprise dénommée Red Arrow Products est spécialisée dans l’arôme de fumée, lequel est ajouté à la sauce barbecue, les snacks, et la viande traitée. Red Arrow fabrique l’arôme naturel de fumée en carbonisant de la sciure de bois et en captant les arômes chimiques relâchés dans l’air. La fumée est capturée dans de l’eau et embouteillée, afin que d’autres compagnies puissent vendre de la nourriture semblant avoir été cuite au feu de bois.
Le Réseau d’Action Légale Végétarien a récemment demandé à la FDA d’émettre de nouvelles exigences en matière d’étiquetage pour les aliments contenant des arômes naturels. Le groupe désire que les traiteurs alimentaires listent l’origine basique de leurs arômes sur leurs étiquettes. Actuellement les végétariens n’ont aucun moyen de savoir si un additif contient du boeuf, du porc, de la volaille, ou des crustacés. Un des colorants alimentaires les plus utilisés – dont la présence est souvent dissimulée par l’appellation « colorant » – viole un grand nombre de restrictions alimentaires religieuses, cause des réactions allergiques chez les personnes y étant sujettes, et provient d’une source inhabituelle. L’extrait de cochenille (aussi connu sous le nom de carmin ou acide carminique) est fait à partir des cadavres desséchés de Dactylopius coccus Costa, un petit insecte localisé essentiellement au Pérou et dans les îles Canaries. L’insecte se nourrit de baies rouges de cactus, et la couleur de ces baies s’accumule chez les femelles et leurs larves. Les insectes sont collectés, séchés, et transformés en pigment. Il faut environ 70000 d’entre eux pour produire 500 grammes de carmin, utilisé pour rendre les aliments traités d’apparence rose, rouge, ou violette. Les yaourts à la framboise Danone tirent leur couleur du carmin, de même que de nombreuses barres congelées aux fruits, des bonbons, des fourrages aux fruits, et le jus de pamplemousse rose Ocean Spray.
Dans une salle de réunion à l’IFF, Brian Grainger me laisse essayer certains des arômes de la compagnie. C’était un test de goûts inhabituel – il n’y avait pas de nourriture à goûter. Grainger est un confectionneur d’arômes senior à l’IFF, un chimiste à la voix douce et aux cheveux grisonnants, à l’accent anglais, et au goût prononcé pour l’euphémisme. Il pourrait facilement être pris pour un diplomate britannique ou le propriétaire d’une brasserie à deux étoiles Michelin. Comme beaucoup dans l’industrie de l’arôme, il a une sensibilité du Vieux Monde, à l’ancienne. Lorsque je suggérai que la politique de secret et de discrétion de l’IFF était décalée par rapport à notre ère de marketing de masse, auto-promotionnel, portant aux nues les marques, et que la compagnie devrait ajouter son propre logo sur les innombrables produits contenant ses arômes, au lieu de permettre à d’autres compagnies de profiter de la loyauté et de l’affection des consommateurs inspirées par ces mêmes arômes, Grainger exprima poliment son désaccord, m’assurant qu’une telle chose ne se produirait jamais. En l’absence de la reconnaissance et de la ferveur publique, la petite et discrète confrérie des chimistes d’arômes apprécie intérieurement le travail de chacun. En analysant la formule gustative d’un produit, Grainger peut souvent me dire lequel de ses homologues dans une firme concurrente l’a mis au point. Chaque fois qu’il parcourt une aile de supermarché, il prend un plaisir silencieux à observer les aliments célèbres qui contiennent ses arômes.
Grainger apporta une douzaine de petites bouteilles de verre de son laboratoire. Après avoir ouvert chaque bouteille je plongeai à l’intérieur un testeur d’arômes – une longue languette blanche de papier destinée à absorber les éléments chimiques de l’arôme sans produire de note parasite. Avant de placer chaque languette devant mon nez, je fermais les yeux. Puis j’inhalais profondément, et un aliment après l’autre naissait des bouteilles de verre. J’ai senti des cerises fraîches, des olives noires, des oignons sautés, des crevettes. La création la plus remarquable de Grainger me prit par surprise. Après avoir fermé les yeux, je sentis soudain la délicieuse odeur d’un hamburger grillé. Le parfum était éthéréal, presque miraculeux – comme si quelqu’un dans la salle cuisinait des burgers sur une grille brûlante. Mais lorsque j’ouvris les yeux, je vis juste une languette de papier blanc, et un confectionneur d’arômes avec un sourire.
Source: Traduction (assez libre) du texte Why McDonald’s Fries Taste So Good paru dans l’édition de janvier 2001 du mensuel The Atlantic Monthly, extrait du livre Fast Food Nation de Eric Schlosser. Le livre a été porté à l’écran par le réalisateur de Slacker et de Waking Life, Richard Linklater.
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