Dans le numéro de mars de Science et Vie, un dossier consacré aux « nouveaux interdits alimentaires ». Le titre fait craindre le pire. Et le pire, ou plutôt le pitre, est au rendez-vous !
On n’a pas tous les jours l’occasion de rire un bon coup à la lecture de la presse. Alors merci au magazine Science et Vie qui nous offre ce mois-ci un réjouissant dossier sur « les nouveaux interdits alimentaires. » On se gondole à chaque page, et on n’est pas seul. L’industrie agro-alimentaire aussi a dû se délecter de ce dossier. Vous buvez moins de lait ? Vous évitez le gluten ? Vous avez peur des nitrates ? Vous mangez paléo ? Vous suivez le régime Seignalet ? Bref, vous ne jouez pas le jeu de l’agrobusiness ? Pauvres ignorants ! Tout ça, c’est rumeur, manipulations, croyances. Et pourquoi pas clouer une chouette sur la porte de la cuisine tant que vous y êtes ? Tenez, Science et Vie va tout vous expliquer. Et vous dérider, par la même occasion.
Car pour nous faire rire, Science et Vie se pose là. Les journalistes auraient pu interroger les chercheurs qui font autorité dans ces domaines. Mais le risque était grand de les voir rapporter platement l’état des connaissances scientifiques. Adieu la fantaisie ! Adieu l’extravagance ! Heureusement, dans ce dossier, pas de Pr Loren Cordain de l’université du Colorado, sur le régime paléo; pas de Dr Staffan Lindeberg, de l’université de Lund non plus. Pas de Pr Walter Willett, de l’Ecole de santé publique de Harvard sur les laitages. Pas de Pr Alessio Fasano de l’université du Maryland sur le gluten. A la place, Science et Vide a convoqué des experts et des études infiniment plus pittoresques comme on va le voir.
Le résultat est proprement fascinant.
Première occasion de rire : « Le régime préhistorique n’existe pas »
Pour nous faire rire avec le régime paléo, Science et Vie a eu la bonne idée de donner la parole à un biologiste et archéologue du CNRS, qui n’est pas spécialiste de l’alimentation de l’époque pré-néolithique. Bravo pour ce choix judicieux ! Du coup, on n’est pas déçus. Non seulement, nous explique-t-on, le « régime préhistorique » ne repose sur aucune base scientifique mais, ajoute le spécialiste, il n’existe pas, puisqu’il y a « plein de régimes préhistoriques ». Il fallait y penser ! Pas un mot sur la définition même du régime paléo, qui est l’éviction des aliments introduits au néolithique avec l’agriculture : sel, sucre, céréales, légumineuses, laitages.
Et pour décourager le lecteur de se laisser tenter par cette alimentation pré-agricole, ce même chercheur a recours à l’argument-massue (sans mauvais jeu de mot) : « Il ne faudrait pas oublier que l’espérance de vie pendant les temps préhistoriques était de 20 ou 25 ans ! » Alors là, chapeau bas. Il fallait oser remettre en selle cet argument devenu une brève de comptoir depuis que Michael Gurven, professeur d’anthropologie à l’université de Californie a montré que nos ancêtres vivaient à un âge avancé, une fois passées les premières années de mortalité infantile. Sans parler des observations du Dr Staffan Lindeberg sur les Kitavas de Nouvelle-Guinée confirmant qu’à l’âge adulte, l’espérance de vie de chasseurs-cueilleurs qui vivent comme aux temps préhistoriques, est comparable à celle des Suédois modernes.
Deuxième occasion de rire : « Les nitrates sont bons pour la santé »
Les nitrates, que les agriculteurs épandent massivement, qui polluent les cours d’eau et peuvent donner naissance à des composés cancérogènes (les nitrosamines) non seulement ne sont pas associés à un risque de cancer, mais ils sont même excellents pour le cœur : « les nitrates ne méritent pas leur mauvaise réputation, » écrit Science et Vie.
Pour nous faire rire, Science et Vie n’est pas tombé dans le piège grossier qui consistait à faire une recherche exhaustive de la littérature scientifique. Il suffit en fait de quelques minutes (même à un journaliste stagiaire) pour trouver des dizaines de publications récentes incriminant la consommation de nitrates dans le risque de troubles de la thyroïde, de cancer du pancréas, de cancer des ovaires, ou de cancer de la vessie. De quoi gâcher la célébration des nitrates !
Science et Vide a aussi pris soin de ne pas expliquer à ses lecteurs que la relation entre nitrates et cancer est complexe, et probablement modulée par la quantité d’amines du repas, le statut en fer, en vitamines C et E, peut-être même en folates et en magnésium. Ils ont eu raison, c’est trop barbant.
Plutôt que de sombrer dans ces nuances inutiles, Science et Vie nous assure que la conversion des nitrates en nitrosamines n’a été démontrée que « chez la souris, et à des doses extrêmes ; car chez l’homme, cela n’a jamais été démontré. » […]
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