Après une lésion cérébrale, il arrive parfois que le cerveau puisse se réparer lui-même en fabriquant de nouvelles cellules pour remplacer les cellules endommagées. Mais la réparation ne va pas assez vite pour permettre de guérir des maladies dégénératives comme la maladie motoneurone (aussi appelée maladie de Lou Gehrig ou SLA). Siddhartan Chandran présente de nouvelles techniques faisant appel à des cellules souches spéciales qui pourraient permettre au cerveau endommagé de se reconstruire plus vite.
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Transcription de la vidéo:
0:11 – Je suis très heureux d’être ici aujourd’hui pour vous parler des possibilités de réparer les lésions cérébrales, et je suis particulièrement intéressé par ce domaine, parce qu’en tant que neurologue, je suis persuadé que c’est l’un des meilleurs moyens que nous ayons, qui puisse nous permettre de donner de l’espoir aux patients qui vivent aujourd’hui avec des maladies cérébrales dévastatrices et pour l’instant incurables.
0:32 – Voici le problème. Vous pouvez voir ici le cerveau d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer à côté d’un cerveau sain, ce qui est évident, c’est que dans le cerveau atteint d’Alzheimer, entourées en rouge, on voit des lésions évidentes – de l’atrophie, des cicatrices. Je pourrais aussi vous montrer des images semblables pour d’autres maladies : la sclérose en plaques, les maladies du motoneurone, la maladie de Parkinson, et même la maladie de Huntington et les résultats seraient tous similaires.Collectivement ces lésions cérébrales représentent l’un des plus grands dangers de notre époque en matière de santé publique. Les chiffres sont très impressionnants. Aujourd’hui, il y a 35 millions de personnes qui vivent avec l’une de ces maladies cérébrales, dont le coût mondial annuel est de 700 milliards de dollars. Réfléchissez-y. C’est plus de 1% du PIB mondial. Pire encore, ces chiffres ne cessent de grandir parce que ces maladies sont largement liées à l’âge et l’espérance de vie augmente.La question que nous devons nous poser est donc celle-ci : pourquoi, étant donné les effets dévastateurs de ces maladies sur l’individu, sans même considérer l’échelle du problème sociétal,pourquoi n’y a t-il pas de traitements efficaces ?
1:49 – Pour envisager cette question, il faut d’abord que je vous fasse un cours accéléré sur la manière dont fonctionne le cerveau. En d’autres termes, il faut que je vous raconte tout ce que j’ai appris pendant mes études de médecine. (Rires) Croyez-moi, ça ne prendra pas beaucoup de temps. D’accord ? (Rires) Le cerveau est extrêmement simple : il est construit de quatre cellules et deux d’entre elles sont ici. Voici la cellule nerveuse et la cellule productrice de myéline, ou la cellule isolante. On appelle ça un oligodendrocyte. Quand ces quatre cellules travaillent ensemble en bonne santé et en harmonie, elles créent une extraordinaire symphonie d’activité électrique, c’est cette activité électrique qui nous permet de penser, d’avoir des émotions, d’utiliser notre mémoire, d’apprendre, de bouger, de sentir, etc. Mais chacune de ces quatre cellules individuelles, seule ou simultanément, peut dégénérer ou mourir, et quand ça arrive, cela créé des dommages. On a un problème de câblage. On se retrouve avec des connexions rompues. Et c’est évident ici avec un courant lent. Mais ces dégâts finiront par se manifestercomme une maladie. Si la cellule nerveuse qui commence à mourir est un nerf moteur, par exemple, vous aurez une maladie motoneurone.
3:08 – J’aimerais vous donner une illustration réelle de ce qui arrive avec une maladie motoneurone. Voici l’un de mes patients, il s’appelle John. J’ai vu John pas plus tard que la semaine dernière à la clinique. Et je lui ai demandé de nous raconter quels étaient les problèmes qui ont mené au diagnostic initial d’une maladie motoneurone.
3:27 – John : On m’a diagnostiqué en octobre 2011, le principal problème était un problème respiratoire, une respiration difficile.
3:37 – Siddhartan Chandran : Je ne sais pas si vous avez tout compris, mais ce que John nous disait, c’est que sa difficulté a respirer a fini par conduire au diagnostic d’une maladie motoneurone.
3:47 – Cela fait maintenant 18 mois que John a entamé ce voyage, et je lui ai demandé de nous parler un peude son problème actuel.
3:55 – John : ce qui se passe en ce moment, c’est que mon problème respiratoire a empiré, j’ai des faiblesses dans les mains, les bras et les jambes. Je suis donc en fauteuil roulant la plupart du temps.
4:08 – SC : John vient de nous dire qu’il est en fauteuil roulant la plupart du temps.
4:13 – Ce que ces deux vidéos montrent, ce ne sont pas seulement les conséquences dramatiques de cette maladie, elles nous montrent aussi la vitesse fulgurante de cette maladie, parce qu’en tout juste 18 mois,un homme adulte en bonne santé est devenu dépendant d’un fauteuil roulant et d’un appareil respiratoire. Et soyons honnêtes, John pourrait être le père, le frère ou l’ami de n’importe qui.
4:36 – Voilà ce qui arrive quand le nerf moteur meurt. Mais que se passe-t-il quand la cellule productrice de myéline meurt ? Ça donne la sclérose en plaques. La radio à votre gauche est une illustration du cerveau,c’est une carte des connexions du cerveau, à laquelle on a superposé des zones de lésions. On les appelle les lésions de démyélinisation. Mais ce sont des lésions et elles sont blanches.
5:01 – Je sais ce que vous êtes en train de penser. Vous être en train de penser : « Mon Dieu, ce type a débarqué, nous a dit qu’il allait nous parler d’espoir, et tout ce qu’il a fait, c’est nous raconter une histoire franchement sombre et déprimante. » Je vous l’ai dit, ces maladies sont terribles. Elles sont dévastatrices, les chiffres montent, les coûts sont exorbitants, et pire, nous n’avons pas de traitement. Où est l’espoir ?
5:19 – Eh bien, vous savez quoi ? Je crois qu’il y a de l’espoir. Il y a de l’espoir dans ce nouveau chapitre, dans cette zone de cerveau de quelqu’un atteint de sclérose en plaques, parce que ça illustre le fait surprenant que le cerveau peut se réparer lui-même. C’est juste qu’il ne le fait pas assez bien. Donc à nouveau, je veux vous montrer deux choses. D’abord, des lésions d’un patient atteint de sclérose en plaques. A nouveau, on voit l’une de ces masses blanches. Mais ce qui est crucial, c’est cette zone entourée de rouge qui souligne une zone bleue pâle. Cette zone bleue pâle, avant, était blanche. Elle était endommagée. Maintenant, elle est réparée. Soyons clairs : ce n’est pas grâce aux médecins. Malgré les médecins, pas grâce à eux. C’est une réparation spontanée. C’est extraordinaire et c’est arrivé parce qu’il y a des cellules souches dans le cerveau, qui permettent à de la nouvelle myéline, une nouvelle couche d’isolation d’être déposée sur les nerfs endommagés. Et cette observation est importante pour deux raisons. La première, c’est qu’elle va contre l’un des dogmes que nous avons appris en médecine,ou qu’en tout cas moi j’ai appris, j’avoue que c’était le siècle dernier, et qui veut que le cerveau ne se répare pas lui-même, à la différence, par exemple, des os ou du foie. Mais en réalité, il le fait, c’est juste qu’il ne le fait pas assez bien. Et la deuxième raison, c’est que cela nous donne une orientation très claire pour de nouvelles thérapies — pas besoin d’être un grand scientifique pour savoir quoi faire ici. Il suffit de trouver des moyens de promouvoir la réparation endogène et spontanée, qui a lieu de toute façon.
6:50 – La question est donc : pourquoi, si nous savons ça depuis quelques temps, comme c’est le cas,pourquoi n’avons-nous pas ces traitements ? Et cela reflète en partie la complexité du développement des médicaments. Vous pouvez penser que le développement de nouveaux médicaments est un pari plutôt cher mais risqué, et la probabilité de remporter ce pari est à peu près la suivante : il y a une chance sur 10 000, parce qu’il faut analyser environ 10 000 composants pour trouver le potentiel vainqueur.Ensuite il faut y consacrer 15 ans et dépenser plus d’un milliard de dollars, et même à ce prix, il se peut que cela échoue.
7:25 – La question pour nous est donc : peut-on changer les règles du jeu et augmenter les chances de succès ? Pour faire cela, il faut se demander où est le blocage dans la découverte d’un médicament. L’un d’eux arrive tôt dans le processus de découverte d’un médicament. Toutes ces analyses ont lieu sur des modèles animaux. Mais nous savons que l’étude exacte de l’homme doit se faire sur l’homme, pour citer Alexander Pope, La question est donc de savoir si nous pouvons étudier ces maladies en utilisant un matériau d’origine humaine. Et bien sûr que nous le pouvons. Nous pouvons utiliser des cellules souches,et plus précisément des cellules souches humaines. Les cellules souches humaines sont des cellules extraordinaires mais très simples, qui peuvent faire deux choses : elles peuvent se renouveler, ou se multiplier, mais elles peuvent aussi devenir spécialisées pour faire de l’os, du foie ou, ce qui est crucial, des cellules nerveuses, peut-être même une cellule motoneurone ou une cellule productrice de myéline.Et le défi, depuis longtemps, est de savoir si l’on peut exploiter ce pouvoir, cet indéniable pouvoir des cellules souches, pour réaliser leur potentiel au service de la neurologie régénérative.
8:24 – Et je crois qu’aujourd’hui nous le pouvons, et la raison, c’est qu’il y a eu plusieurs découvertes majeuresces 10 ou 20 dernières années. L’une d’entre elles a été faite ici, à Édimbourg, et il s’agit sans doute du seul mouton célèbre, Dolly. Dolly a été créée à Édimbourg, et Dolly était un exemple du premier clonage d’un mammifère à partir d’une cellule adulte. Mais je crois qu’une avancée encore plus significative pour le sujet dont nous discutons aujourd’hui, a été faite en 2006 par un scientifique japonais appelé Yamanaka. Ce qu’a fait Yamanaka, dans une sorte de fantastique cuisine scientifique, c’est de montrer que quatre ingrédients, quatre ingrédients seulement, pouvaient effectivement faire de n’importe quelle cellule, n’importe quelle cellule adulte, une cellule souche. Il est difficile d’exagérer ce que cela signifie,parce que cela signifie que de chacun d’entre nous ici, en particulier des patients, on pourrait aujourd’hui générer un kit de réparation des tissus personnalisé et dédié. Prenez une cellule de la peau, faites-en une cellule souche multipotente, et vous pourriez ensuite créer les cellules pertinentes pour les maladies des patients, à la fois pour étudier et potentiellement pour guérir. Cette idée, pendant mes études de médecine — c’est un thème récurrent, n’est-ce pas, moi et mes études de médecine ? — aurait été ridicule, mais c’est une réalité absolue aujourd’hui. Je vois ça comme la pierre d’angle de la régénération, de la réparation et de l’espoir.
9:44 – Et pendant que nous sommes sur le sujet de l’espoir, pour ceux d’entre vous qui étaient mauvais à l’école, il y a encore de l’espoir pour vous, parce que voici le bulletin scolaire de John Gerdon. [« Je crois qu’il a dans la tête de devenir chercheur ; vu ses résultats actuels, c’est franchement ridicule. »] Ils n’avaient pas une très bonne opinion de lui à l’époque. Mais ce que vous ne savez peut-être pas, c’est qu’il a obtenu le Prix Nobel de la médecine il y a tout juste trois mois.
10:01 – Donc pour en revenir au problème de départ, quelle est l’opportunité de ces cellules souches, ou quelle est cette technologie disruptive, pour réparer les lésions du cerveau, que nous appelons la neurologie régénérative ? Je pense qu’il y a deux manières de l’envisager : comme fantastique outil du XXIe sièclepour la découverte de nouveaux médicaments, et/ou comme une forme de thérapie. Je veux vous en dire un peu plus sur ces deux aspects dans le temps qu’il nous reste.
10:24 – La découverte d’un médicament est souvent la manière dont les gens parlent de cela. C’est très simple : vous prenez un patient atteint d’une maladie, disons une maladie motoneurone, vous prenez un échantillon de peau, vous faites votre reprogrammation multipotente, comme je vous l’ai déjà dit, et vous générez des cellules de nerf moteur. C’est direct, parce que c’est ce que peuvent faire les cellules multipotentes. Mais ce qui est crucial, c’est qu’ensuite on peut comparer leur comportement à celui de cellules équivalentes mais en bonne santé, provenant idéalement d’un parent non atteint. De cette manière, on recherche une variation génétique.
10:55 – Et c’est exactement ce que nous avons fait ici. C’était une collaboration entre collègues : à Londres, Chris Shaw ; aux États-Unis, Steve Finkbeiner et Tom Maniatis. Et ce que vous voyez là, et c’est incroyable, ce sont des cellules du nerf moteur vivantes, en croissance, provenant d’un patient atteint de maladie moto-neurone. Il se trouve que c’est une forme génétiquement transmise. Imaginez ça. Ça aurait été inimaginable il y a dix ans. En plus de les voir croître et développer des processus, on peut aussi faire en sorte qu’elles soient fluorescentes, mais surtout, on peut suivre leur état de santé individuel, et comparer les cellules du nerf moteur atteintes aux cellules en bonne santé. Et quand on fait tout cela ensemble, on réalise que les cellules atteintes, représentées par la ligne rouge, ont deux chances et demi de plus de mourir que les cellules en bonne santé. Et le point crucial ici, c’est qu’on a avec cela un moyen fantastique de découvrir des médicaments, car que demander aux médicaments, et l’on pourrait le faire grâce à un système d’analyse automatisé à haut débit, on demanderait aux médicaments, donne-moi une chose : trouve-moi un médicament qui rapprochera la ligne rouge de la ligne bleue, car ce médicament sera un candidat de haute valeur que l’on pourrait probablement tester directement sur des humains en évitant presque ce blocage dont je vous ai parlé dans le processus de découverte d’un nouveau médicament avec les modèles animaux, si cela a un sens pour vous. C’est fantastique.
12:19 – Mais je veux revenir à la façon dont on pourrait utiliser les cellules souches directement pour réparer les lésions. A nouveau, il y a deux manières d’envisager cela, et l’une n’exclut pas l’autre. La première, et je crois, à la longue, celle qui sera la plus rentable, mais on n’y pense pas encore comme ça pour le moment, c’est de considérer les cellules souches qui sont déjà dans notre cerveau, et je vous ai dit ça.Nous avons tous des cellules souches dans notre cerveau, même un cerveau endommagé, et assurément, le plus intelligent est de trouver des moyens pour promouvoir et activer ces cellules souches déjà présentes dans le cerveau pour qu’elles réagissent et répondent de manière appropriée aux lésionspour les réparer. C’est notre futur. Nous aurons des médicaments qui feront cela.
12:59 – Mais l’autre méthode consiste à parachuter des cellules, de les transplanter, pour remplacer des cellules mourantes ou perdues, même dans le cerveau. Je veux vous faire part d’une expérience, il s’agit d’un essai clinique que nous avons fait, que nous avons récemment terminé, avec des collègues de UCL [University College London], David Miller en particulier. Cette étude était très simple. Nous avons pris des patients atteints de sclérose en plaque et nous avons posé une question simple : est-ce que des cellules souches de la moelle osseuse protégeraient leurs nerfs ? Ce que nous avons fait, c’est que nous avons pris cette moelle osseuse, fait croître les cellules souches en laboratoire, et réinjecté ces cellules dans la veine. Ça a l’air très simple quand j’en parle. Ça a pris cinq ans à beaucoup de monde, d’accord ? Et ça m’a donné des cheveux gris et ça a posé plein de problèmes. Mais conceptuellement, c’est très simple.Donc nous les avons injectées dans la veine, n’est-ce pas ? Donc pour savoir si nous avions réussi ou non, nous avons pris le nerf optique comme indicateur de résultat. Et c’est pratique à mesurer dans le cas de la sclérose en plaques, car les patients atteints de sclérose en plaques souffrent malheureusement de problèmes de vision — perte vision, vision non claire. Nous avons donc mesuré la taille du nerf optique en utilisant les scanners avec David Miller trois fois — douze mois, six mois, et avant l’injection de cellules — et vous pouvez voir la ligne rouge décliner doucement. Ça vous indique que le nerf optique se contracte, ce qui est logique, puisque les nerfs sont en train de mourir. Puis nous avons injecté les cellules aux patients et répété la mesure deux fois — trois mois et six mois — et à notre surprise, ou presque, la ligne est remontée. Cela suggère que l’intervention a protégé le nerf. Je ne crois pas que ce qui est arrivé est que les cellules souches ont produit de la nouvelle myéline ou de nouveaux nerfs. Je crois que ce qu’elles ont fait, c’est de promouvoir les cellules souches endogènes ou cellules précurseurs, pour qu’elles fassent leur travail, qu’elles déposent de la nouvelle myéline. C’est la preuve du concept. Je suis très heureux de ça.
14:57 – Je voudrais terminer avec le thème que j’ai abordé au départ, la régénération et l’espoir. Là, j’ai demandé à John quels sont ses espoirs pour le futur.
15:06 – John : J’espère qu’un jour dans le futur, grâce à la recherche que vous menez, nous pourrons trouver un remède, de sorte que les gens comme moi pourrons mener une vie normale.
15:18 – SC : Cela en dit beaucoup.
15:21 – Mais je voudrais conclure d’abord en remerciant John — le remercier pour m’avoir autorisé à partager son point de vue et ces vidéos avec vous tous. Mais je voudrais aussi ajouter, à l’intention de John et des autres, qu’à mon avis, il y a de l’espoir pour le futur. Je crois réellement que les technologies disruptivestelles que les cellules souches que j’ai tenté de vous expliquer offrent une réelle source d’espoir. Je crois réellement que le jour où nous serons capables de réparer un cerveau endommagé arrivera plus rapidement que nous ne le pensons. Merci. (Applaudissements)
Source : Ted.com