Par Clair et Lipide
L’industrie alimentaire s’est emparé d’un bien impérieux besoin : celui de nous nourrir à coup de produits et non plus d’aliments. Plus un aliment est transformé moins il en mérite le nom. Et aussi, moins ça relève de l’agriculture, ou cueillette/chasse pour les plus chanceux. On a bien pu mesurer des décennies plus tard les effets désastreux de l’hydrogénation des huiles végétales. Ou encore l’excès de glucides raffinés avec une palatabilité toujours plus forte, et donc obésogène chez les plus petits -pas qu’eux !-, notamment dans les céréales du petit déjeuner. Sans parler de l’ajout d’additifs pour donner du goût, de la texture, ou pour reculer la date de péremption, et faire en sorte que les produits puissent tenir dans les linéaires suffisamment longtemps.
Oh, tout n’est pas noir, on pourra m’objecter, tous les industriels ne sont pas des mafieux aux dents longues toujours plus avides de consommateurs décérébrés et mus par une addiction à ces produits. Non, parfois l’industrie agro-alimentaire n’en fait pas des tonnes, et peut transformer minimalement les aliments. Pour ça on pourra lire l’excellent « Le bon choix au supermarché » sorti aux éditions Thierry Souccar, qui met en balance pour chaque gamme de produits ceux qui le font vraiment, et ce qui vont vous détruire la santé en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Ok j’exagère un peu, certes, certes.
Le nouveau dada de l’industrie, après avoir rectifié le tir sur les margarines (en délaissant totalement l’hydrogénation partielle, pour leur préférer le procédé de l’émulsion), en enrichissant artificiellement les céréales à coups de fer ou de vitamine D (quel intérêt pour les enfants s’ils boivent du lait écrémé ?), ce sont les protéines végétales. Oui, lipides, glucides, c’est déjà du passé, maintenant ils s’attaquent aux protides.
L’idée de cet article m’est venu après la lecture du dossier spécial protéines alimentaires, paru en février 2014 sur Industrie et Technologies (n°962). On peut le consulter d’ores et déjà ici, je pense que ça ne va pas rester en ligne indéfiniment. On connaît les sources de protéines végétales, ce sont les céréales, dont le blé (sans doute problématique pour certains d’entre nous), les protéagineux -légumineuses – et les oléagineux -dont le soja-. Laissons tomber le débat nutritionniste classique sur ces sources, ce n’est pas ce qui est intéressant.
A l’exception des insectes, quand ils ne sont pas réduits en farine (hélas…), les nouvelles solutions pour fournir des protéines à bas coût ne font décidément pas rêver. Désormais, pour savoir comment sont faits nos aliments, il faut un doctorat de biologie option agronomie. Quelques morceaux choisis :
[…]Les farines […]sont obtenues par broyage de la graine puis par turboséparation : l’amidon est séparé des particules protéiques fines par le passage de la farine dans un courant d’air.[…]
[…]Les concentrés de soja s’obtiennent ensuite en lavant la farine avec un mélange hydroalcoolique[…]
[…]les insectes sont élevés dans un bioréacteurs puis broyés et fractionnés en différentes molécules d’intérêt. La bioraffinerie des insectes s’inspire à la fois des procédés utilisés pour produire des biocarburants et des techniques d’extraction des portéines végétales.[…]
[…]Les technologies de purification : avant d’arriver sous forme concentrée, les protéines doivent être séparées des autres molécules, à savoir les lipides et les glucides. Le centre de valorisation des glucides et des produits naturels (CVG) travaille sur des différentes techniques, utilisées entre autres pour la purification de protéines végétales. Parmi celles-ci, les trois principales sont l’électrodialyse, la filtration membranaire et la chromatographie d’échangeuse d’ions, à choisir selon les applications visées.
Les savants fous qui veulent gérer le contenu de nos assiettes (en plus d’en vouloir à nos porte-monnaies)
Encore tout ça c’est très maitrisé, c’est « safe » si on veut. Pas de risque d’empoisonnement bactérien, chimiquement rien à redire, c’est même trop propre…y a plus une once de vie.
Le sommet du dossier reste l’infographie au titre « Transformation les protéines gagnent en consistance » page 35 : car oui, les consommateurs sont réticents (vilains rétrogrades !) face à ces protéines : il faut donc leur « mâcher » le travail en travaillant sur les propriétés de ces aliments, on va changer leur texture pour la faire ressembler à celle de la viande. Et pour ça les procédés existent déjà, merci Clextral, qui extrude gaiement depuis 2001, on peut également gélifier à souhait grâce au soja ou aux pois, émulsifier grâce aux protéines de pomme de terre. Ou imiter la texture de la viande (bis). Les insoupçonnables plaisirs de la biochimie !
Et le dossier de s’achever joyeusement, des aliments « réels », les produits usinés au final dans nos assiettes : pain hyperprotéiné (le moins pire), steak de pois, farine d’insectes, viande in vitro (oui le fameux frankensteak à 250 000 $)…le tout avec un arrière-plan qui nous ramène aux nappes de mamie, la manipulation est trop évidente. A moins qu’il ne s’agisse de second degré ou d’autodérision au moment de la rédaction du dossier ?
Honnêtement, je ne pige pas la moitié de ces procédés industriels. Peut-être que nutritionnellement c’est théoriquement satisfaisant, mais, voilà, j’ai un libre-arbitre, le but des industriels est de vendre, et que leur produit soit de qualité, mais la qualité industrielle, au sens hygiénique, ou ISO9001, n’a qu’un lointain rapport avec la qualité des aliments naturels : pas toujours beaux, parfois pourris, mais authentiques, et le recul sur plusieurs millénaires de consommation. Je préfère de loin me passer de viande, ou augmenter mes apports en légumineuses que me jeter à corps perdu dans ces machins.
S’il faut être obscurantiste, anti-progrès, je le serais, je laisserais les early adopters se jeter sur ces produits. Au-delà de la nutrition, c’est tout un problème d’ordre moral, voire spirituel : on souffre d’être déconnecté de la terre, de nos traditions, de ne plus reconnaître les aliments (les vrais), de plus savoir, vouloir ou pouvoir les cuisiner, on n’ose plus voir les choses telles qu’elles sont, au point de préférer les cochonneries aux aliments sains. Et ça empire, si l’on regarde du côté des viandes, nous avons des jeunes accro aux steak hachés ou aux poissons panés, et qui tiquent si on proposent une viande un peu moins high tech.
Des poissons panés, merci wikipedia ®
Des briques uniformes, du parpaing alimentaire, bien tristounet tout ça. Ces nouveaux comportements alimentaires, plus si nouveaux d’ailleurs, sont propres aux milieux urbains, et ce qui est dit dans cet article, « La viande ou la bête » est édifiant, on mange en conséquence moins d’abats (et j’imagine moins d’os ou de cartilages), car tout ce qui nous rappelle la bête, la nature (même morte, même cuite) est évité, voire rejeté. Pas étonnant que le végétarisme puisse prospérer en milieu urbain. Encore qu’aux USA, ou le végétarisme est plus implanté qu’en France, il a plutôt des liens avec la religion protestante…ou l’adventisme, devrais-je dire, voir l’histoire de Harvey Kellog et son frère Will Keith à l’origine…des céréales Corn Flakes, mais aussi du beurre de cacahouète : comme par hasard pas les derniers à transformer douteusement les aliments.
Le symbole final de tout ça, c’est la réalité qui rattrape la fiction, un seul produit alimentaire pour les gouverner tous, vous en aviez rêvé, Rob Rhinehart l’a fait pour vous. Et il semblerait que nutritionnellement ça soit pourtant correct. C’est peut-être parfait…mais honnêtement…à part résoudre le problème de la faim dans le monde, ça ne résoudra pas le problème moral (et re-spirituel) de la surabondance alimentaire dans nos pays riches. C’est mon avis, et donc très personnel, mais c’est inutile, si on ne s’investit pas en cuisine, si on abandonne notre destin alimentaire aux mains des industriels. Manger en pleine conscience selon les sages préceptes de Brian Wansink -il a popularisé le concept- me semble complètement antinomique aux solutions des ingénieurs-sorciers-nutritionnistes. Attention…au sens du nutritionnisme selon Pollan consistant à ne voir les aliments que sous l’aspect nutritionnel.
Reprendre en main sa santé, c’est être plus proche de la nature, avoir son potager, chasser ses proies, ou à minima, connaître les producteurs et leurs méthodes – difficile pour les parisiens, j’admets-. C’est s’investir, ce qui peut-être difficile parfois je conçois à cause des contraintes de la vie. Mais ce n’est certainement pas déléguer sa santé à autrui, ni donner un blanc-seing à l’industrie. Je n’ai pas un avis original, pour le coup, oui. Mais quand on s’embarque dans des solutions usinées, on connaît les avantages sur le moment, et les inconvénients bien plus tard par exemple hier l’hydrogénation des graisses par exemple, ou les scandales actuels des édulcorants, le sucralose est désormais épinglé, en attendant l’aspartam, et sans doute dans le futur les OGM -malgré l’étude douteuse de Séralini -. Là, en l’occurrence, je suis instinctivement effrayé par ces nouveaux procédés, soit-disant sans danger.
Effectivement, je n’ai pas d’argument concret à opposer sur la qualité alimentaire, n’étant pas biochimiste. J’ai juste l’intuition que la science (nutritionnelle) avance par cycles et que l’on ne saura que bien plus tard ce qui n’allait pas avec ces nouvelles méthodes, avant que l’on puisse, éventuellement rectifier le tir. Je n’ai pas envie de tenter le diable, oui en quelque sorte, je suis craintif, il y a une part d’irrationnel. La technologie, l’alimentation et la santé, ça se marie très mal, si vous voulez mon avis. Ok pas contre la technologie en soi, mais quand ça doit passer par mes entrailles, laissez-moi mon libre-choix…
Post-Scriptum : Coïncidence des faits, De Chair et de Lait, publie aujourd’hui cet article sur un sujet assez proche, à savoir, l’industrie agro-alimentaire qui joue aux apprentis sorciers et tord les aliments dans tout les sens pour mieux nous faire avaler des couleuvres…bon après je suis un omnivore revendiqué, donc je n’adhère pas aux propos végés, mais le blog est très bien fait, très bien sourcé. Une bonne pioche.
Bonjour !
C’est clair et lipide – sans m – en fait, merci pour la pub !
C’est corrigé 😉